Durant les années 1920, entre 250 000 et 300 000 morts ont sillonné la France, le plus souvent en train, dans des wagons spéciaux. Ces morts étaient des soldats tombés au front et enterrés à la hâte sur les champs de bataille que la République française restituait à leurs familles, à leurs villages, parfois dans les territoires éloignés comme l’Algérie ou Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette transhumance macabre est le sujet du formidable travail de Béatrix Pau qui a inspiré Pierre Lemaitre pour son roman Au revoir là-haut (Albin Michel). Le prix Goncourt 2013 rend d’ailleurs hommage, dans sa préface, à cette thèse débarrassée du jargon universitaire qui se dévore comme une enquête. Cela tient au fait que cette jeune enseignante s’appuie sur de nombreux cas concrets et qu’elle met au jour le scandale des "mercantis de la mort", ces entrepreneurs funèbres comme Albert Barrois ou les frères Perret qui ont fait fortune sur le dos des familles endeuillées pour ramener les dépouilles de leurs poilus, le plus souvent dans des conditions indécentes.
"Ramener le cadavre près des siens signifie rendre au mort les honneurs qu’il n’a pu avoir, lui dire au revoir une dernière fois et achever ainsi son travail de deuil." Béatrix Pau montre également que, pour la communauté et pour la Nation, c’est aussi un symbole d’unité. André Maginot, lui-même ancien combattant, mutilé et ministre des Pensions chargé de ce travail de restitution, a bien perçu la dimension de ce retour des morts de la Grande Guerre.
Avec le sens de l’anecdote puisée dans la consultation des archives, Béatrix Pau raconte ce travail d’exhumation et de d’inhumation des corps. Sur un sujet rebattu - 14-18 -, voici une approche neuve avec un traitement énergique. Un grand livre d’histoire. L. L.