C'était à la rentrée littéraire, en 1995. Parmi les débutants lâchés dans les librairies, on distinguait, un an après Extension du domaine de la lutte d'un certain Michel Houellebecq, un autre premier roman publié sous l'austère couverture de Maurice Nadeau. Le titre était également aguicheur : Moi aussi un jour, j'irai loin. On y suivait l'histoire d'un chômeur, Pierre Lômeur, antihéros rappelant ceux qui étaient croqués naguère par Emmanuel Bove. Il ne faisait aucun doute qu'un écrivain était né. Dominique Fabre avait déjà l'art de parler de l'errance et de la solitude.
Ce qu'il a ensuite toujours continué de démontrer, avec talent et finesse, de Ma vie d'Edgar (Le Serpent à plumes, 1998) à J'aimerais revoir Callaghan (Fayard 2010, repris au Livre de poche). En janvier, il débarque aux éditions de l'Olivier avec l'un de ses meilleurs crus, Il faudrait s'arracher le coeur. Dans les locaux de son nouvel éditeur, le discret quinquagénaire explique qu'il a habité toute son adolescence à Bécon-les-Bruyères, près de la maison de l'auteur de Mes amis. Ce chef-d'oeuvre, il l'a eu entre les mains à 18 ans grâce à un copain qui l'avait acheté d'occasion chez Gibert. De Bove, il préfère encore Armand, "pour sa folie".
Son premier choc a pourtant été Les semailles et les moissons d'Henri Troyat, dont l'une des héroïnes se prénommait Dominique. Puis ont suivi Albertine Sarrazin, Céline et Calet. Fante, John McGahern et John Cheever. Un nouvelliste américain dont il est devenu fou, au début des années 1980, lorsqu'il séjournait aux Etats-Unis, à Pasadena et en Louisiane. L'écriture, il s'y est mis sérieusement à 19 ou 20 ans. Son premier manuscrit avait pour titre Robert a les boules quand il neige. Il a essuyé des refus, dont un mot taquin du Dilettante - "Robert a les boules quand il neige... mais il nous a laissés de glace" - et reçu une lettre encourageante de Jérôme Lindon.
Correcteur au Journal du Textile
Le septième ou huitième texte achevé, Moi aussi un jour, j'irai loin, change la donne à une période où il n'y croyait "presque plus". Maurice Nadeau lui téléphone alors qu'il fait les courses à Franprix, où sa femme vient aussitôt lui annoncer la bonne nouvelle. Réchauffé, Le Dilettante appellera aussi, mais trop tard. Malgré un sujet "qui fait peur, le chômage longue durée", le livre est largement salué par la presse. Alors correcteur au Journal du Textile, Dominique Fabre passe le Capes par correspondance et devient professeur d'anglais à Bondy.
Curieusement, Nadeau ne veut pas de son opus suivant, Ma vie d'Edgar, lui expliquant que "ça ne se fait pas de parler de sa mère" ! Le voilà donc hébergé au Serpent à plumes, maison où il va publier trois livres avant qu'elle ne soit rachetée. En 2002, Claude Durand le contacte au moment où il termine Mon quartier. Dominique Fabre reste dix ans chez Fayard, mais choisit ensuite de se diriger vers une plus petite structure. L'Olivier, il y est arrivé grâce à Alix Penent, qui le suit depuis ses débuts, et à son ami Pierre Hild, qu'il a connu libraire à Montpellier.
Notre homme peut se vanter d'avoir des lecteurs fidèles en France comme à l'étranger. Il est traduit au Chili, chez Lom, et en Argentine. Aux Etats-Unis, chez Archipelago Books, où La serveuse était nouvelle (Fayard 2005, repris en Pocket) s'intitule logiquement The waitress was new.
Nouvelliste, romancier et poète dont il faut se procurer Avant les monstres (Cadex, 2009), Fabre enseigne toujours l'anglais à des classes de cinquième et de troisième dans un collège parisien. Il aimerait se consacrer entièrement à l'écriture, a conscience que le temps file. Qu'il a encore une quinzaine de livres dans la tête, qu'il a envie de s'attaquer à de plus gros formats. Sa table de travail, il attend de "ne plus pouvoir faire autrement" pour s'y mettre. Il tape d'abord à la machine mécanique, puis à l'ordinateur. Très tôt, vers 5 heures du matin, quand toute la famille dort dans l'appartement de la porte d'Ivry. Avant de prendre congé, Dominique Fabre s'amuse d'avoir immanquablement habité près des boulevards des Maréchaux. D'avoir été "un petit banlieusard" et de l'être un peu resté.
Il faudrait s'arracher le coeur, Dominique Fabre, éditions de l'Olivier, 222 p., ISBN : 978-2-87929-980-8. Sortie : 5 janvier.