Célidan. Seuls les plus lettrés savent que ce nom est celui d'un personnage relativement secondaire d'une pièce supposément comique et assez méconnue de Corneille, intitulée La veuve. Au premier rang de ceux-ci, les acteurs qui ont interprété le personnage en question, comme Denis Podalydès en 1991 sous la direction de Christian Rist, pour ce qui fut l'un de ses premiers rôles significatifs. Souvenirs, souvenirs... et d'abord ceux du comédien et écrivain (prix Femina essai en 2008 pour Voix off, Mercure de France), égrenés aujourd'hui dans un attachant et curieusement douloureux recueil, Célidan disparu. Déjà, pourquoi disparu ? « Célidan est le nom de cet acteur heureux, de cet homme heureux d'être acteur. Je le suis toujours. Mais si j'intitule ce livre Célidan disparu, c'est bien qu'une part, sans doute la plus fictive, qui n'est pas la moins désirable, elle, a disparu. Ne serait-ce pas tout bêtement l'innocence, la pure et enfantine innocence que la première fois met en lumière et fait luire ensuite, pendant des années, la nimbant de l'aura du paradis perdu ? »
Soit, d'autant que ce « nevermore » est ce qui donne au livre sa coloration et lui permet d'échapper à la tentation lénifiante du lamento le plus complaisant. Podalydès s'y entend magistralement à parler de l'enfance. Ici, et sur un ton qui pourrait être celui d'un film de son frère Bruno, celle des grandes vacances en Bretagne, des premiers échos du déchirement du couple parental, des jours heureux passés dans la librairie versaillaise de sa grand-mère. Seulement, il faut grandir. Et puis vieillir. Et accepter de ne pas toujours vivre à la hauteur de ses rêves. En la matière et sans que ce puisse être considéré comme une sorte de narcissisme inversé, l'acteur et auteur ne s'épargne pas. Il partage ses doutes, ses ruptures, ses regrets. Ses rencontres (mention spéciale à celle, cruelle, avec un Robbe-Grillet excessivement pontifiant) et ses admirations aussi. Pour ses maîtres en mise en scène, Giorgio Strehler ou Jacques Lassalle ou, à l'écran, Maurice Pialat, dont il rappelle justement quel grand acteur il aurait pu être. Surtout, Denis Podalydès paie son tribut à sa plus constante maîtresse et son plus cher souci, la langue. C'est-à-dire, le style. C'est-à-dire, le livre et la lecture. Qui jamais ne se laissent oublier.
Célidan disparu
Mercure de France
Tirage: 8 000 EX.
Prix: 21 € ; 336 p.
ISBN: 9782715259768