Les « délits de presse », qui concernent tous les supports, du livre papier au magazine en kiosque, du journal télévisé aux sites internet, suivent un régime particulier de prescription des poursuites.
Aux termes de l’alinéa premier de l’article 65 de la célèbre loi du 29 juillet 1881, « l’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte de poursuite, s’il en a été fait ». Le délai de prescription, qui court du jour de la sortie du livre ou de la mise en ligne d’un article, est donc par principe relativement court.
Il ne faut pas oublier que ce délai recommence à courir à chaque nouvelle publication : poche, club, édition en langue étrangère, etc. En revanche, le délai ne repart pas à chaque réimpression.
Autant dire que le débat est tout aussi nourri pour déterminer ce qui, sur internet, constitue une nouvelle publication.
Une jurisprudence récemment enrichie
Or, la jurisprudence sur les délais de prescription relatifs aux infractions commis en ligne s’est enrichie, les 2 novembre 2016 et 10 janvier 2017, grâce à deux arrêt rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
La première affaire concernait un inspecteur des impôts qui poursuivait en diffamation le site « temoignagefiscal », directement accessible par un lien hypertexte inséré dans un article intitulé « La preuve par trois ». Le prévenu plaidait pour sa défense que les propos litigieux avaient déjà été mis en ligne, depuis plus de trois mois, dans un billet dénommé « l’enfer-Ici tout de suite » et que les poursuites étaient donc prescrites.
Les juges de la Cour de cassation considèrent néanmoins que « le texte incriminé avait été rendu à nouveau accessible par son auteur au moyen d’un lien hypertexte, y renvoyant directement, inséré dans un contexte éditorial nouveau ». Le fonctionnaire de l’administration fiscale n’est donc pas prescrit dans son action.
Un cas spécifique: le moteur Google
Le second litige est plus atypique. Il porte sur une « injure » publique envers un particulier (dont le régime de prescription classique est, comme pour la diffamation, de trois mois).
"La société Adomos, exerçant l’activité d’agent immobilier, a porté plainte et s’est constituée partie civile (…) après avoir constaté que le moteur de recherche Google, proposait, dans une rubrique "Recherches Associées", sur l’occurrence "Adomos", le résultat suivant : "Adomos arnaque". Mais il y avait aussi les mêmes termes résultant de la fonctionnalité "Google Suggest", devenue "Saisie semi automatique Google" ».
La société plaignante avait fait établir plusieurs constats d’huissier, à différentes dates, par le biais des diverses fonctionnalités ; et le juge d’instruction saisi initialement avait entendu les responsables juridiques de Google pour se faire expliquer le fonctionnement exact des possibilités, en l’occurrence litigieuses, offertes par le moteur de recherche.
Une longue bataille judiciaire s’en était suivie, liée au fait que la plainte visait des propos déjà constatés par huissier.
La faute à l'algorithme
La Cour de cassation finit par déduire que ces « services n’apparaissent pas comme des outils indépendants de Google mais (…) doivent être analysés comme des fonctionnalités différentes du même moteur de recherche, dont les résultats sont entièrement automatisés et dépendent d’un algorithme sans intervention humaine ou reclassement des résultats et donnant lieu à deux rubriques distinctes ». « En conséquence, l’apparition des termes litigieux (…) ne peut être considérée comme une nouvelle publication au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. »
Et les magistrats de conclure : « ne saurait constituer une nouvelle publication sur le réseau internet, au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, d’un contenu déjà diffusé, la juxtaposition de mots, résultant d’un processus purement automatique et aléatoire issu d’une fonction intégrée dans un moteur de recherche, exclusive, en l’espèce, de toute volonté de son exploitant d’émettre, à nouveau, les propos critiqués ».
Gageons que d’autres décisions de justice viendront conforter ou nuancer cette position, tant les mêmes écrits, en particulier livresques ou journalistiques, ont vocation a être désormais repris sur de multiples formats de lecture.