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Quand le poker inspire le droit

Le joueur de poker et le tribunal - Photo DR

Quand le poker inspire le droit

La cour de cassation consacre le principe du « buy or sell » dans un pacte d’associés. Explications sur cette clause dite « texane » inspirée des usages contractuels nord-américains.

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Par Vincent Vigneau
Créé le 10.09.2025 à 14h48

La clause d’offre alternative ou « buy or sell » s’inspire d’une logique simple, mais assez imparable, empruntée au poker : lorsque deux associés sont dans une impasse, l’un propose un prix pour acheter ou vendre ses parts ; l’autre décide s’il cède ou s’il rachète, au même prix.

Par un arrêt du 12 février 2025 (pourvoi n° 23-16.290), la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a validé la mise en œuvre d’une telle clause insérée dans un pacte d’associés, consacrant pour la première fois en droit français ce mécanisme inspiré des pratiques nord-américaines. Une telle clause, parfois qualifiée de « clause américaine » ou de « clause texane », trouve son origine dans les usages contractuels nord-américains.

Règles équitables

Cette clause incite donc celui qui la met en œuvre à proposer un prix ni trop élevé, ni trop bas, sous peine de devoir vendre à perte ou acheter au-dessus de la valeur réelle. Ce mécanisme d’auto-contrôle rend inutile tout recours à un expert ou à une formule de calcul : la crainte de se faire « retourner » par son associé incite naturellement à l’équilibre. Le pacte devient table de jeu, mais avec des règles équitables.

Dans cette affaire, deux associés d’une SARL, en conflit persistant, avaient inséré une telle clause de « buy or sell » dans leur pacte. Le minoritaire déclencha la clause en proposant de vendre l’ensemble de ses parts pour 40 000 euros, tout en laissant au majoritaire la faculté d’inverser l’opération, auquel cas ce dernier devrait lui céder ses propres parts pour 60 000 euros.

Le majoritaire s'étant opposé à la mise en œuvre de la clause, le minoritaire et la société l'ont assigné aux fins de le voir condamner à procéder à la signature de l'acte de cession de l'intégralité de ses parts sociales au prix précité de 60 000 euros. La cour d’appel accueille la demande.

Fixer un prix qui n’est ni arbitraire, ni imprévisible

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision. Elle juge que le mécanisme respecte les exigences de l’article 1591 du Code civil : bien que le prix soit fixé unilatéralement, il est déterminable, car l’initiateur est tenu par le risque que son offre se retourne contre lui. Ce prix n’est donc ni arbitraire, ni imprévisible. Il s’inscrit dans un jeu d’équilibre contractuel que le droit peut légitimement accueillir.

La Cour juge également que, sauf stipulation différente dans la clause, il ne peut être exigé de l'associé qui la met en œuvre une communication spontanée de tous les documents utiles à l'appréciation de l'offre. Là encore, le raisonnement repose sur la liberté contractuelle et la responsabilité de chacun dans l’usage des outils prévus par le pacte.

Contractualisation plus souple des modalités de séparation entre associés

En consacrant pour la première fois la validité de la clause « buy or sell », la Cour de cassation ouvre la voie à une contractualisation plus souple des modalités de séparation entre associés. Pour les praticiens, l’arrêt du 12 février 2025 constitue un signal fort : cette clause, parfois redoutée pour sa brutalité, peut désormais être intégrée dans les pactes sous réserve de quelques précautions (définition claire du périmètre, équilibre des pouvoirs, anticipation des effets fiscaux) à condition, surtout, que les associés soient prêts à miser sérieusement.

Car dans cette partie, comme au poker texan, le fonctionnement du jeu repose sur la loyauté des joueurs et la fermeté de la règle. Ainsi, dans une économie où les relations d’affaires deviennent parfois aussi tendues que les tables de jeu du Texas, le droit français accepte que les parties puissent, avec loyauté et stratégie, s’asseoir à la même table, pour en sortir, si nécessaire, avec des règles du jeu claires et accessibles.

 

Vincent Vigneau

Olivier Dion - Vincent Vigneau

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