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L’historien américain Robert Darnton vient de publier un volume intitulé De la censure. Essai d’histoire comparée Gallimard, Essais).

Il s’y attaque à trois régimes autoritaires dont il a étudié, grâce à de nombreuses archives, les mécanismes de filtre et de réécriture des ouvrages de librairie. Il croque tout à tour la France des Bourbons (et en particulier les années 1750 à 1760), l’Inde du Raj britannique (et notamment la littérature bengalie de la seconde partie du XIXe siècle) et la RDA, juste avant la chute du mur.

C’est l’occasion pour Robert Darnton d’esquisser des ponts de contact entre les différents systèmes, d’autant plus aisés que tous trois font la part belle à la négociation entre censeurs et auteurs, comportent souvent des hommes de lettres dans chaque camp et présentent essentiellement des cas de censure a priori.

Au-delà des ces trois parties – chacune passionnante - l’historien en conclut, sans doute avec peu de nuances, dans le but de relier le tout, que rien d’autre que ces mécanismes ante-publication ne peut être valablement désigné comme une véritable censure…

Rappelons toutefois que, de nos jours, la censure connaît plusieurs acceptions. Il s’agit certes parfois des cas où une autorité impose d’examiner avant sa diffusion publique d’un message - que celui-ci prenne la forme d’un journal, d’un livre, d’un film, d’une œuvre d’art ou encore de musique -  et, le cas échéant, l’interdit ou en restreint le contenu ou la cible.

Mais, dans une conception plus large, la censure est assimilée à toute mesure visant à limiter la liberté d’expression, que ce soit a priori comme une fois l’objet du litige déjà entre les mains du public. Aux termes de cette hypothèse, la censure est alors incarnée aussi bien par une interdiction, à quelque moment que celle-ci intervienne et d’où qu’elle provienne, que par la suppression d’un passage, la condamnation à des dommages-intérêts, à la publication d’un avertissement ou d’une décision de justice. Les représailles économiques, la menace par des actes violents d’intimidation ou de rétorsion appartiennent également à ce registre.

Ces deux façons de considérer le phénomène de la censure sont liées à l’histoire de celle-ci. Car, originellement, la censure a priori dominait. Alors que, de nos jours, les atteintes à la liberté d’expression ont lieu pour l’essentiel a posteriori. Et ce même si plusieurs formes de censure à l’ « ancienne mode » perdurent officiellement : il en est ainsi de la « commission de classification du visa cinématographique ». Son mode de fonctionnement rappelle l’instauration de la censure préventive.

L’Etat a toutefois peu à peu abandonné le premier rôle dans l’organisation de la censure. Et le véritable virage de ces trente dernières années, et cela vaut pour la France, l’Allemagne comme pour l’Inde, est la constitution d’entités juridiques dans le seul dessein d’agir sur le terrain du droit et non plus de la seule réprobation morale.

Ce phénomène n'est pas propre aux religieux intégristes : tous les lobbies attaquent à la place de l'État pour défendre un intérêt qu'il disent général. Rien ne sert de conclure, comme Robert Darnton, que, en Birmanie et  en Arabie saoudite, le sort d’un écrivain emprisonné est sans appel, qu’il ne peut aller voir un autre éditeur que celui lié à des intérêts industriels qui a refusé son manuscrit.

Las, la loi du marché est souvent un étau terrible, par exemple dans la Turquie d’aujourd’hui où les amis d’Erdogan ont fait main basse sur les groupes de communication,  sans compter qu’il existe là-bas aussi un passage du relais d'un contrôle étatique à des filtres et de poursuites privés.

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