Photo © GABRIELLA KELLERMAN

Chaque famille a une façon différente de communiquer. La nôtre était de raconter des histoires" : Jesse Kellerman, fils des célèbres auteurs de polars Jonathan et Faye Kellerman, est tombé petit dans la marmite de l'écriture. Troisième des livres qu'il a écrits (et le premier à être traduit en français), Les visages, publié par Sonatine en 2009 (160 000 ventes en grand format et 200 000 en poche), a marqué profondément le genre. Les lecteurs le retrouveront aux Deux Terres le 6 octobre avec un titre paru précédemment aux Etats-Unis (en 2007), Jusqu'à la folie.

Pour l'aîné de quatre enfants Kellerman (il a trois soeurs), écrire est naturel. "A l'âge de trois ans, je dictais des histoires à mon père. Je le ressentais comme un besoin impérieux. Mais je ne le considérais pas comme un travail parce que ce n'était pas rémunéré." On pourrait juger l'héritage très lourd, et Jesse Kellerman l'assume. "Encore aujourd'hui, mes parents lisent tout ce que j'écris", raconte-t-il.

"Personne n'a dit qu'[écrire] était facile", professe Jesse Kellerman sur son site dans ses conseils aux jeunes écrivains. Il avoue avoir planché sur cinq ou six livres avant de voir le premier titre publié en 2006 (trois autres ont suivi). Il s'est glissé dans le genre, en voulant "moderniser le thriller traditionnel". Au duo inventé par son père, composé du psychologue pour enfants Alex Delaware et du flic gay et solitaire Milo Sturgis, il préfère "des gens ordinaires". "Parce que je suis quelqu'un d'ordinaire. Mes héros sont humains, pleins de contradictions comme moi." Homme banal confronté à une situation extraordinaire, l'étudiant en médecine exténué Jonah, héros de Jusqu'à la folie, se porte au secours d'une femme battue dans la rue et tue accidentellement l'agresseur. La femme sauvée, Eve, se montre plus que reconnaissante et se met à le harceler, le poursuivant jusque chez ses parents. Jonah est un mec bien, mais il est aussi très lâche et continue de s'occuper de son ex, Hannah, parce qu'il est incapable de mettre fin à une relation qui n'en est pas une. De la même façon, il cède aux exigences d'Eve, par peur des représailles. Devoir et culpabilité, honneur et lâcheté : Jesse Kellerman joue avec maestria des paradoxes de l'homme. Mais pour cet ancien étudiant en psychologie à Harvard (il a étudié notamment le comportement antisocial), il faut aussi dans le paysage la figure de la femme fatale - Eros et Thanatos. Elle est incarnée par Eve, qui représente l'attraction du danger, celle qui entraîne le héros dans sa folie, l'obligeant à la suivre dans une sexualité dangereuse : "La sexualité est une composante du danger, de la colère, de la cruauté."

Le côté le plus sombre

Les livres de Jesse Kellerman ont à voir avec la folie. Le tueur des Visages, Victor Cracke, peint des portraits d'enfants et crée une oeuvre graphique obsessionnelle codée, que le galeriste Ethan Muller compare à celle de Robert Crumb ou de Jeff Koons. Jusqu'à la folie, dont les deux héroïnes déclinent différemment la maladie mentale, porte bien son nom. Hannah a sombré depuis longtemps dans la dépression et vit recluse chez elle. Eve est une véritable psychopathe, qui aime être battue et va pousser Jonah à passer à l'acte, révélant en lui son côté le plus sombre. "Jonah est un homme bon, il est surpris par sa propre violence. C'est un choc pour lui quand il cogne", ajoute l'auteur, qui révèle avoir vécu une relation violente, "émotionnellement mais pas physiquement", sans en dévoiler davantage.

Passionné par le théâtre (il a aussi reçu le prix Princesse Grace 2003 réservé aux dramaturges les plus prometteurs), Jesse Kellerman maîtrise l'art de tenir son lecteur en haleine au point qu'il ne peut lâcher le livre. Poursuivi par Eve, Jonah est entraîné dans une spirale infernale, un piège dont on sait qu'il se refermera sur lui. Le conte de fées tourne inexorablement au cauchemar, et c'est ainsi que l'auteur crée le suspense. Il y a de l'Harlan Coben dans le fils Kellerman.

Jesse Kellerman aurait pu tout aussi bien être musicien. Il a commencé la batterie à 4 ans, puis a étudié la guitare, fait partie d'un groupe de rock indépendant, Don't Shoot The Dog, et se consacre désormais au jazz et au blue grass, jouant "de la guitare, de la mandoline, et de temps en temps du piano et de la batterie". Les Kellerman sont une famille d'artistes : Jonathan, le père, peint et Faye, la mère, joue de sept instruments. Le rêve de leur fils ? Ecrire "le roman" sur la famille et la musique. Il a commencé ses recherches.

Jusqu'à la folie, de Jesse Kellerman, traduit de l'anglais par Julie Sibony, Editions des Deux Terres, 22,50 euros, 384 p., ISBN : 978-2-84893-101-2. Sortie le 5 octobre.

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