Le fanatisme islamiste, le terrorisme, Yasmina Khadra les a connus dans sa première vie, quand il s’appelait encore Mohammed Moulessehoul et que, officier de l’armée algérienne, il luttait contre le GIA et l’AIS, dans la région d’Oran. Une guerre fratricide, sans merci, qui a décimé la population. Il a failli y rester. C’est même pour ça qu’il a commencé à écrire, dans la clandestinité et sous pseudonyme, des romans policiers fictifs, comme pour exorciser toute la violence réelle. Par la suite, il a montré les ravages de l’embrigadement et du salafisme dans sa trilogie Les hirondelles de Kaboul (le film d’animation qui en a été tiré doit sortir cette année), L’attentat et Les sirènes de Bagdad (Julliard, 2002, 2005 et 2006).
Le voici qui revient sur le motif, d’une façon que lui seul, sans doute, pouvait oser: toute l’histoire est racontée, à la première personne, par Khalil. Un jeune Marocain du Rif qui vit en Belgique, dans un milieu minable: père commerçant radin et alcoolique, mère esclave, sœur aînée dépressive… Son seul rayon de soleil, c’est sa jumelle, Zahra, avec qui il se sent en osmose. La famille est pieuse, sans plus. Jusqu’à ce que le garçon, né en 1992, se laisse persuader par Driss, son ami de toujours, son presque frère (avec Rayan, mais lui n’a jamais fait de sottises, il a reçu une meilleure éducation, et a réussi dans la vie), et tombe entre les griffes d’un réseau, Solidarité fraternelle, avec imam, cheikh et émir. Ces salopards le convainquent qu’en servant Dieu il se vengera de toutes les humiliations subies dans sa triste jeunesse. C’est ainsi qu’il se retrouve à Paris, le 13 novembre 2015, parmi les kamikazes envoyés au Stade de France. Son rôle, c’est de se faire exploser dans le RER, causant un maximum de victimes. La tentative échoue. Driss, de son côté, n’a tué que lui.
Khalil retourne en Belgique, exige des explications de ses mentors, et va complètement partir en vrille. Après que Zahra a été l’une des victimes de l’attentat dans le métro de Bruxelles, sa famille le maudit et le renie. Complètement perdu, halluciné, il va exiger de partir pour Marrakech, commettre un autre massacre, prévu place Jemaa el-Fna, où il espère, cette fois, mourir en martyr. Mais, même comme criminel, il est nul.
Yasmina Khadra a réussi un roman aussi passionnant que glaçant, qui suscitera certainement des réactions contrastées, voire des polémiques, étant donné la brûlante portée du sujet. "L’exclusion exacerbe les susceptibilités, les susceptibilités provoquent la frustration, la frustration engendre la haine, et la haine conduit à la violence, dit à un moment l’un de ses personnages, c’est mathématique." Comment sortir de cette spirale de mort? Jean-Claude Perrier