Dan Franck : "Le goût du romanesque, c'est le goût des héros."

Dan Franck - Photo © JF Paga

Dan Franck : "Le goût du romanesque, c'est le goût des héros."

Avec Le roman des artistes, Dan Franck se lance dans une vaste tétralogie qui traverse au galop le XIXe siècle. Rencontre, dans son bureau parisien orné de photos de la guerre civile espagnole, avec un écrivain qui place le plaisir d'écrire et de lire au premier rang de ses préoccupations.

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Par Propos recueillis par Olivier Mony
Créé le 30.09.2024 à 12h00 ,
Mis à jour le 01.10.2024 à 10h05

Comment est née cette tétralogie, Le roman des artistes, dont vous publiez aujourd'hui le premier tome qui s'intitule Romantismes ?

En fait, ça remonte à assez loin. Il y a vingt-cinq ans, j'ai écrit une trilogie, Le temps des Bohèmes dont l'idée était de raconter, au siècle dernier, les artistes et la société, les artistes dans la société. J'avais alors, je l'ai toujours, la conviction que le mythe de l'artiste désengagé est un leurre. Picasso ou Apollinaire étaient des sans-papiers et quand Marx parle de l'émergence de la société industrielle, Berlioz crée l'orchestre modèle. Ce ne pouvait être tout à fait une coïncidence, et ceci ne se limite pas au XXe siècle. Alors, quand j'en ai eu terminé avec Le temps des Bohèmes, j'ai voulu parler du XIXe siècle. Et c'est ainsi, peu à peu et au fil des années, qu'est né Le roman des artistes.

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Dan Franck- Photo © JF PAGA

 

Justement, si la gestation a été si longue, est-ce parce que vous avez eu du mal à trouver le ton juste ?

Vous savez, j'ai fait autre chose entretemps, écrit d'autres livres ! (Rires.) Non, c'est sur Bohèmes que je n'avais pas trouvé le ton tout de suite. Là, il m'est apparu assez vite que sinon l'originalité, du moins la force narrative, ce serait de croiser les destinées. Et ce, avec trois révolutions, comme autant d'étapes : 1830, 1848 et la Commune. Ce qui m'apparaissait important, c'était de montrer la modernité absolue de cette époque, et la façon dont elle pouvait résonner avec notre temps. Un exemple : Louis-Napoléon Bonaparte a été élu sur un programme de gauche, mais devenu Napoléon III, il mènera une politique résolument de droite. Toute ressemblance avec des personnages existants...

 

De nombreux personnages, peintres ou écrivains pour la plupart, traversent ce Roman des artistes. Y en a-t-il un qui vous paraît plus important que les autres ?

Oui, en effet, il y a beaucoup de personnages. Ils viennent des 300 à 400 livres de ma bibliothèque sur cette période. Et aussi de mes recherches dans les journaux de l'époque, les correspondances, les journaux intimes.

Pour répondre à votre question, je crois que le « patron », c'est Victor Hugo. Alors bien sûr, au départ, c'est un opportuniste. Avec quand même une constante, son opposition à la peine de mort. Son rapport aux femmes est problématique, mais son enfance, vue d'aujourd'hui, c'est l'histoire d'un divorce qui se passe mal... Je suis d'accord avec Michel Butor lorsqu'il écrit « Il prend toute la place ». C'est exactement ça. L'autre personnage éminent, c'est Dumas. J'ai adoré apprendre que le futur roi Louis-Philippe lui avait appris le bon usage de la ponctuation... Dumas écrit d'abord dans la presse et ça, c'est très important. Les écrivains démocratisent alors la presse sous l'impulsion d'un homme qui fut décisif : Émile de Girardin. Il imagine les premiers romans-feuilletons. Leur succès est colossal, ce sont les séries télé de l'époque ! L'attention du lecteur est captée par des « trucs » scénaristiques que Théophile Gautier appelait des « traquenards d'intérêt ». Dumas était très fort pour ça et son imaginaire était tout à fait prodigieux.

 

C'est le même goût du roman-feuilleton qui vous fait imaginer, avec votre ami Jean Vautrin, la série des Boro ?

Bien sûr, en reprenant cette idée des traquenards d'intérêt. C'est quelque chose d'assez joyeux, au fond, le feuilleton. C'est l'envie de donner la vie...

 

En lisant Le roman des artistes, on réalise la place éminente des peintres dans la société de ces années-là.

Oui, surtout de Géricault et de Delacroix dans ce premier tome. C'est la grande époque du romantisme, même si Delacroix le refusait. La Liberté guidant le peuple, c'est le symbole de la révolution de 1830. J'ai été fasciné de voir que ces peintres, ces artistes, se fréquentaient, se jalousaient souvent, dans des salons toujours tenus par des femmes...

 

On a l'impression que chez vous, le goût du romanesque ne se tarit pas...

Le goût du romanesque, c'est le goût des héros. Même si là, il s'agit d'un récit romanesque où tout est vrai... Après, je suis convaincu qu'il n'y a pas de plaisir de lecture sans, d'abord, un plaisir d'écriture. En fait, il y a des livres nécessaires et des livres de plaisir. Comme il y a aussi une certaine forme de narcissisme dans l'écriture. De toute façon, je n'ai fait que ça toute ma vie.

 

Et comment « ça » a-t-il commencé ?

Très jeune, j'ai écrit un premier livre. Je l'ai envoyé à Georges Lambrichs, à Betty Mialet, qui était alors chez Stock, et à Albin Michel, où le directeur littéraire de l'époque m'a répondu gentiment « Ce livre est un soufflé mal cuit, vous ne serez jamais écrivain ». J'ai donc d'abord renoncé à l'écriture, avant de m'y remettre quelques années plus tard, encouragé par mon ami, le regretté Pierre Ajame. Ce fut mon premier roman, Les Calendes grecques, alors publié chez Calmann-Lévy. Vous savez, plus de quarante ans plus tard, je ne me berce pas d'illusions et je sais qu'il y a dans ma bibliographie des livres qui ne sont pas bons. Par exemple, après avoir obtenu le Renaudot, j'ai vraiment eu du mal à m'y remettre...

 

L'écriture, vous l'avez abordée sous nombre de formes différentes, avec prodigalité. Des scénarios, des livres où vous prêtiez votre plume à d'autres. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ?

Oh non. Je ne veux plus faire de séries. Je ne veux plus écrire pour les autres. Je ne veux plus être un simple « artisan » de l'écriture. De toute façon, je n'y ai jamais vraiment pris du plaisir. Je faisais ça pour gagner ma vie, c'est tout. Même si parfois, il y a eu des moments plus agréables que d'autres. Par exemple, lorsque j'ai écrit le livre de Zidane. Moi qui ne connaissais strictement rien au foot, avec ce garçon dont ce n'est pas lui faire injure que de dire qu'il n'est pas un grand lecteur... Là oui, il y a eu une rencontre.

 

Et vous, quel lecteur étiez-vous durant votre enfance ?

J'ai commencé à lire avec Bob Morane et la série encyclopédique pour enfants Tout l'univers... C'est plus tard que j'ai découvert la force narrative et romanesque d'un Maupassant, d'un Flaubert, d'un Balzac.

 

Et quel lecteur êtes-vous aujourd'hui ?

Comme je dois beaucoup lire « autour » des livres que j'écris, comme pour Le roman des artistes, évidemment, je prends moins le temps pour mes confrères et consœurs... Tout de même, je garde un œil attentif et admiratif sur le travail d'un Tanguy Viel, mais aussi sur Maylis de Kerangal, Jean Echenoz, Robert Bober ou Colum McCann ou les regrettés Jean-Patrick Manchette, Paul Auster ou Russell Banks. J'en oublie, bien sûr.

 

Que pensez-vous de l'émergence dans le champ littéraire contemporain de l'autofiction, mais aussi de ce que les Anglo-saxons appellent la « nonfiction novel » ? Est-ce quelque chose à quoi vous pourriez « frotter » votre écriture ?

D'abord, j'ai trois livres à écrire pour conclure la tétralogie du Roman des artistes. Ça me laisse donc un peu de temps... L'autofiction, je ne crois pas. En fait, je ne m'intéresse pas beaucoup à moi-même et à cause de ça, j'ai eu beaucoup de mal à écrire mon dernier livre, L'Arrestation (Grasset, 2023), totalement autobiographique. Pour le reste, le « journalisme romanesque », oui, ça m'intéresse. Mais il faut trouver le bon sujet, la bonne histoire. Alors, je cherche...

Dan Franck
Le roman des artistes. Vol. 1. Romantismes
Grasset
Tirage: 9 000 ex.
Prix: 24 € ; 416 p.
ISBN: 9782246838807

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