5 avril > Mémoires France > Costa-Gavras

Certains hommes sont grecs ou français, d’autres comme Barthes estiment qu’"il n’est pays que de l’enfance", Konstantínos Gavrás dit Costa-Gavras, lui, est citoyen du cinéma. Depuis ce jour d’octobre 1955 où ce jeune Hellène, sans avenir ni projet autre que l’exil, échoua à Paris pour se donner une seconde et déjà ultime chance, c’est le plaisir, la dignité et donc la terre d’adoption de cet éternel exilé. Et comme il a sa vie durant, cette "vie en cinéma" donc, beaucoup travaillé, beaucoup voyagé, comme on soupçonne chez cet homme un goût immodéré pour "le vivace et le bel aujourd’hui" plus que pour les séductions parfois lénifiantes du passé, il lui aura fallu attendre un âge qu’il ne fait pas pour céder à la tentation du retour sur images. Incontestablement, il eût été dommage qu’il ne le fasse pas tant ce Va où il est impossible d’aller, où toujours l’anecdote s’exhausse au rang de souvenir, est un merveilleux voyage à travers plus de soixante ans d’histoire du cinéma et de la France mêlés.

Si Costa a choisi l’exil, c’est d’abord parce que la Grèce des années 1950, réactionnaire, confite en dévotion et en conservatisme, en peur de toute sédition, indiquait volontiers la porte de sortie à sa propre jeunesse. Ce sera donc Paris, sa cité universitaire, ses salles obscures (et notamment celle de la Cinémathèque, dont par fidélité Costa-Gavras deviendra bien des années plus tard l’emblématique et dynamique président), son école de cinéma, l’Idhec. En vingt-quatre images par seconde, il fait ses humanités, à chaque film, chaque livre, chaque rencontre, chaque visage. Il pense et va vite, est curieux de tout. Dans ces pages où s’ébauche un destin, nous offrant un "Costa avant Costa" fragile autant que déterminé, peut-être les plus belles de ces Mémoires, se niche le "rosebud" de cet homme qui sut toujours s’effacer derrière son œuvre. Le reste sera autant une suite logique qu’une théorie de rencontres dont les plus hautes figures demeurent celles du temps de Z et de L’aveu, le temps des copains et des déjeuners d’Auteuil, Montand, Signoret, Semprún (avec bien sûr celle de la compagne d’une vie, alter ego sans qui rien n’aurait été aussi bien, Michèle Ray)… Pourtant contemporain de la nouvelle vague, Costa-Gavras connaîtra un parcours de cinéaste plus classique, franchissant les échelons de second à premier assistant avant de se lancer dans la réalisation pour un Compartiment tueurs (1965) qui demeure une vraie réussite formelle sur le marché encombré du film noir. Ce qui ne se dément jamais, c’est sa volonté de raconter ses histoires et aujourd’hui sa vie, sans jamais s’adjuger une quelconque position de surplomb à l’égard du spectateur ou aujourd’hui du lecteur. L’honnêteté de cet homme est profonde, comme dans ces pages magnifiques où il confesse souffrir encore, malgré les honneurs, d’un excessif respect et d’une crainte d’exilé perpétuel pour tous les puissants. Il sait donc d’où il vient, mais cette parenthèse biographique refermée est déjà toute tendue vers ce qui se présente. Un film, un de plus encore. O. M.

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