A l'origine, Thibault de Montaigu était parti pour écrire un livre sur le très énigmatique Xavier Dupont de Ligonnès, dont l'affaire a défrayé la chronique en 2011, et n'a jamais été élucidée depuis. L'homme, soupçonné d'avoir assassiné tous les membres de sa famille, est-il toujours en vie, en fuite, et quelles étaient ses motivations ? On l'aurait localisé ici ou là. Sa boîte mail semble toujours en activité. On peut lui écrire. Tout cela devait mériter une enquête, en guise de thérapie, prescrite par Margarita, sa psy de Buenos-Aires, qui le suit pour une dépression. Thibault, marié, deux enfants, expatrié en Argentine pour son boulot, revient en France et commence à suivre la piste de Ligonnès. Elle le conduit près de Carpentras, à l'abbaye bénédictine de Sainte-Madeleine. Il y fait une retraite, lui, l'ancien fêtard matérialiste, ennemi de toutes les religions et spiritualités. Et puis, un soir à complies, il a une révélation. Dieu lui apparaît comme une évidence. Le voici désormais croyant.
Partant, il se remémore son oncle Christian de Montaigu, le frère de son père, aristo jusqu'au bout des talons rouges, ancien noceur, homosexuel en secret des siens (sauf sa belle-sœur, la mère de Thibault, issue d'un milieu intellectuel, donc plus libérale, qui fut sa confidente), qui s'est converti au même âge, et a complètement rompu avec sa vie d'avant. Il a prononcé ses vœux à Vézelay, est devenu prêtre ouvrier dans le Nord, avant de fonder ou de diriger des communautés un peu partout, puis d'achever sa carrière tonitruante et chaotique à Notre-Dame de Bonsecours, dans une banlieue ouvrière et communiste du Havre. Il est mort d'un cancer, et Thibault éprouve le sentiment de ne l'avoir pas vraiment connu, apprécié, d'être totalement passé à côté de cet être exceptionnel, en dépit de quelques rencontres et signes d'affection. Christian, pauvre comme Job mais demeuré snob de son ancienne vie, lui avait légué son luxueux stylo-plume.
Thibault de Montaigu a abandonné Ligonnès, est retourné à Buenos-Aires écrire ce livre-ci, La grâce, qui se présente comme une autofiction familiale, un autoportrait, et aussi la biographie d'un homme à travers toutes ses phases, dont certaines douloureuses. Le projet est ambitieux, le livre complexe et divers, à la fois métaphysique, érudit, et flirtant avec l'autodérision. Le talent d'un écrivain, c'est aussi une forme de grâce.
La grâce
Plon
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 20 euros ; 368 p.
ISBN: 9782259284370