Il ne doit pas être facile pour un auteur d'arrêter une série phare et de rompre avec un personnage qui l'a accompagné pendant des années. Alors qu'il conclut aujourd'hui avec un dix-septième album sa série Jonathan entamée en 1975 dans Tintin, Cosey avoue qu'« il y a un deuil à faire » mais qu'il est « très heureux » d'avoir mis un point final aux aventures de son grand voyageur. L'auteur suisse, Grand Prix du Festival d'Angoulême en 2017, peut être fier d'avoir poursuivi pendant quarante-six ans cette fresque initiatique, à la fois populaire et unique, et d'avoir créé un univers et un personnage qui ont toujours été parfaitement cohérents.
Dans ce dernier tome, Jonathan a rendez-vous dans un monastère tibétain avec Drolma, la jeune orpheline qu'il avait recueillie enfant. Maintenant adulte et mère de deux fillettes, elle lutte contre le trafic d'objets d'art tibétains. Jonathan va l'attendre pendant de long mois, qu'il mettra à profit pour méditer, étudier, livrer des repas, peindre des mandalas, sous la conduite du moine Chamba. Au passage, il rendra un ultime service aux Tibétains contre le « libérateur » chinois - mot que les autochtones emploient ironiquement.
Au fil des albums, Jonathan a vieilli et perdu de vue certains amis qui ont joué un grand rôle dans sa vie. Cosey les convoque ici avec subtilité, donne de leurs nouvelles, évoque leur souvenir, pour les saluer une dernière fois. S'appuyant sur ce qui pourrait être une contrainte et paraître artificiel, Cosey invente une histoire solide, dans la continuité des tomes précédents. On y retrouve sa narration fluide, ses choix chromatiques toujours sobres et francs, tout en ocres et bleus, sublimant la pureté du ciel et l'aridité des étendues désertiques. Le récit, limpide, est élégamment empreint de culture, de musique, de littérature, de spiritualité, de philosophie, d'engagement, de gastronomie aussi, ce qui a toujours fait le charme de la série.
« Jonathan c'était mon autobiographie imaginaire. Une sorte de moi fantasmée, une version améliorée ! » avouait Cosey dans l'intégrale Jonathan publiée en 2009. À l'heure du bilan, il s'offre de belles retrouvailles avec son héros, et dans une émouvante et satisfaisante scène finale, pousse à bout sa réflexion sur l'auteur et son double - réflexion entamée dès 1975, dans un texte republié ici en introduction, où Cosey présentait Jonathan comme un ami. Auteur et personnage, tous deux en quête d'eux-mêmes, sont aujourd'hui arrivés avec grâce et sagesse au bout de leur chemin commun. Mais au fil des lectures et relectures indispensables de cette série intemporelle, on ne cessera jamais de voyager avec eux.
Jonathan. T.17. La piste de Yéshé
Le Lombard
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 12,45 € ; 56 p.
ISBN: 9782808203500