Le Clemenceau traditionnel, implacable républicain et adepte des formules assassines, se retrouve dans le travail de Jean Garrigues pour la collection "Le monde selon". Au travers de citations choisies, l’historien évoque les neuf vies de ce combattant politique, aussi agile qu’un chat. Matthieu Séguéla, lui, dévoile un autre trait de la personnalité de cet homme inflexible qui a marqué la IIIe République. Dès les années 1870 et jusqu’à sa mort, le "Père la Victoire" s’est passionné pour l’Asie et surtout pour le Japon, alors en pleine restauration de Meiji.
Séguéla a examiné les 5 000 articles, le millier de lettres, les discours, les préfaces et les livres de Clemenceau dont il a tiré de nombreux extraits. Dans l’observation de cette Asie qualifiée de "mère vénérée de notre civilisation", on voit sa vision internationale se dessiner. Il prend ainsi parti pour l’empire du Soleil-Levant dans la guerre qui l’oppose à la Russie entre 1904 et 1905 et veut même "faire venir les Japonais" en Europe au début de la Première Guerre mondiale ! Pendant treize ans, les relations franco-japonaises vont connaître, sous son impulsion, un développement inédit et fécond. Certes Clemenceau partage avec son ami Monet la passion pour ce pays, mais son engouement va bien au-delà de cette mode appelée japonisme. Il collectionne les céramiques, s’adonne à la cérémonie du thé et apporte un soutien déterminant à la création du musée Guimet. A Paris, il se lie avec le marquis Saionji Kimmochi, un libéral qui deviendra par deux fois Premier ministre de l’archipel.
Matthieu Séguéla apporte un éclairage inattendu, peu souligné jusqu’alors par les biographes, sur cet aspect de la vie de Clemenceau. Ce grand voyageur ne s’est jamais rendu au Japon, mais il a observé attentivement sa modernisation et sa démocratisation. Désormais, quand on parlera du Tigre, on ne pensera plus exclusivement à la police. L. L.