Avant-critique Roman

Clara Breteau, "L'avenue de verre" (Seuil)

Clara Breteau - Photo © Bénédicte Roscot

Clara Breteau, "L'avenue de verre" (Seuil)

Rentrée littéraire

À partir de bribes de mémoire et d'images rêvées, l'héroïne de Clara Breteau reconstitue le puzzle de la vie de son père algérien qui avait une deuxième famille.

Parution 3 janvier

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Par Sean Rose
Créé le 06.01.2025 à 09h00

En quête de transparence. Anna, dans L'avenue de verre, premier roman de Clara Breteau, enseigne. Sa pédagogie est dialectique, basée sur des questions aux étudiants ; ses travaux de recherches impliquent des enquêtes. Pourtant, à 35 ans, elle se rend compte qu'elle n'a jamais voulu en savoir plus sur cette terre dont est originaire son père algérien, cette ville des Aurès, Batna, où il a grandi, dans la partie orientale de ce massif montagneux, en pays chaoui. À bien y réfléchir, peut-être n'était-ce pas tant par manque de curiosité qu'un mode d'être endémique chez celles et ceux qui sont nés de père inconnu, sous X. Anna porte le patronyme de sa mère, « aux sonorités bien françaises, issu des milieux paysans de la Sarthe ». Quoiqu'Anna et son frère le connussent, le géniteur élusif avait une deuxième famille, ou plutôt c'étaient eux, ces enfants nés d'une Française, qui étaient la famille qu'on cache - under cover, « sous couverture » comme on dit en anglais. Aussi, quand, petite fille, elle le croisait dans la rue, il faisait un signe discret, se souvient-elle. Et cette « présence clignotante » de filer illico sur son scooter pour aller laver les carreaux. Néanmoins, Anna garde en tête ces images et sensations où elle et son frère, les rejetons cachés, se glissaient dans le grand lit où dormait leur père quand il venait, et s'amusaient à faire des dunes comme celles du désert qu'il avait quittées.

« La valise ou le cercueil », ainsi se résumait le sort des pieds-noirs à l'indépendance de l'Algérie. Pour les Algériens comme son père, c'était même sans valise. L'analphabète laveur de carreaux, fan de Johnny Hallyday au point de se faire affubler du nom de scène de son rockeur de prédilection, rencontrera Yvette. Avec elle, « l'Arabe », comme le désigne le père d'Yvette, fondera un foyer. Et puis ce sera avec une autre Française, la mère d'Anna, étudiante solitaire, qu'il aura une histoire d'amour en parallèle. Comme si cette duplicité ne faisait que dupliquer la vie déchirée de cet homme, entre France et Algérie, loin des siens et des paysages de son enfance.

De retour en Touraine après dix années de vadrouille, Anna se projette dans la nostalgie paternelle : « L'été, le lit asséché de la Loire et ses grands bancs de sable chauffés à blanc serpentaient dans l'œil d'Anna comme les empreintes d'un oued tari. Le nom du fleuve lui-même, à travers son adjectif "ligérien" était devenu pour elle à force de tressaillir dans son oreille comme un ressortissant, un affluent sonore du corps de l'Algérie. » Même si elle va finalement enquêter auprès de proches algériens, il restera toujours pour la fille de ce père étranger une part illisible, telles ces traces que dessine la raclette du nettoyeur de vitres- sibyllines lettres recouvrées d'un palimpseste, en alphabet berbère.

Clara Breteau
L'avenue de verre
Seuil
Tirage: 03700 ex.
Prix: 20,50 € ; 224 p.
ISBN: 9782021575958

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