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Cinéma: les adaptations en chiffres

Burning de Lee Chang-dong, d'après une nouvelle de Haruki Murakami, en compétition à Cannes. - Photo Diaphana Distribution

Cinéma: les adaptations en chiffres

A la veille du Festival de Cannes, du 8 au 19 mai, et de la 5e édition de Shoot the book!, Livres Hebdo a réalisé une étude statistique sur l’impact pour l’édition et la librairie des adaptations de livres sorties au cinéma depuis un an.

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Par Vincy Thomas,
Cécilia Lacour,
Créé le 04.05.2018 à 11h33

De mai 2017 à avril 2018, 19% des 731 films sortis dans les salles en France étaient des adaptations, selon le décompte réalisé par Livres Hebdo. Cette part reste stable si on la compare à celle qui ressortait d’une étude réalisée il y a cinq ans par la Société civile des éditeurs de langue française (Scelf): entre 18% et 22% sur la période 2006-2013. Les films biographiques, les adaptations de livres pour la jeunesse et de bandes dessinées ont en revanche fortement progressé au détriment des longs-métrages tirés de romans et de nouvelles, plutôt en retrait. Un phénomène qui accompagne une évolution des équilibres sur le marché du livre lui-même, où le young adult et les littératures de genre sont de plus en plus populaires. Les films qui en sont adaptés, qu’ils soient issus de sagas jeunesse ou d’œuvres d’auteurs comme
Stephen King, rencontrent un large public.


L’alliance entre livre et cinéma se révèle ainsi plutôt fructueuse sur la durée, même si les échelles ne sont pas comparables. La proportion de films adaptés est même plus forte parmi les 90 plus gros succès au box-office. Elle représente un tiers des films qui ont attiré plus de 460 000 spectateurs.

Un coup de pouce aux comics

Quels sont les gagnants sur ce marché sans cesse mieux structuré? Le succès des films Marvel a d’abord donné une forte visibilité aux comics en France, tandis que plusieurs personnages de bande dessinée assoient leur notoriété éditoriale grâce au cinéma. Pourtant, l’impact des sorties cinéma sur les ventes de livres reste très inégal si l’on compare les chiffres de ventes des livres communiqués à Livres Hebdo par GFK avec ceux du box-office. Malgré ses 670 000 entrées en trois semaines, Red sparrow n’a suscité que 4 000 ventes de livres depuis sa publication fin mars. La littérature française profite mieux des films qui s’en inspirent, tels Au revoir là-haut (voir tableau p. 24) ou La douleur (26 300 exemplaires pour 350 000 entrées).

Des pics très nets

L’effet "vu en salle" se fait tout de même ressentir en librairie. Que ce soit pour Au revoir là-haut, La mort de Staline ou La promesse de l’aube, les chiffres de ventes repartent à la hausse dès le début de la promotion du film, atteignant des pics très nets au moment de l’apparition sur les écrans. Ready player one a multiplié par cinq les ventes du livre éponyme récemment réédité chez Michel Lafon par rapport à sa première parution en 2013.


Cependant, le cinéma reste une industrie dont les succès sont aussi aléatoires que la concurrence est vive et les investissements importants. Les échecs sont nombreux et coûteux. D’où une certaine prudence des producteurs quand il s’agit d’optionner une œuvre, et des négociations qui peuvent se révéler difficiles alors que le cinéma d’auteur décline et que le petit écran dispose de moyens croissants pour créer des fictions et des séries. Si le fait d’adapter un roman ou une bande dessinée réduit la prise de risque, on constate à l’examen des devis fournis par le Centre national du cinéma (CNC) que le coût d’un sujet varie généralement de 2% à 5% du budget d’un film. C’est au final l’auteur qui tire le meilleur bénéfice du rapprochement des deux secteurs, à travers les droits audiovisuels, l’éventuelle coécriture du scénario, la visibilité apportée à son œuvre ou les traductions enclenchées.

Gilles Haéri, P-DG de Flammarion et président de la Scelf, qui coorganise Shoot the book! (voir page suivante) voit dans le rapprochement des deux industries une nécessité économique et culturelle: "Il est essentiel que les auteurs, et les éditeurs qui les accompagnent, puissent être partie prenante du rayonnement nouveau offert par l’audiovisuel aux œuvres littéraires.Une œuvre de création doit pouvoir vivre et être découverte sous différentes formes, précise-t-il. Le métier de l’éditeur consiste précisément à en assurer l’intégrité et le rayonnement, sous toutes ses formes, y compris sur le terrain audiovisuel."

L’objectif des détenteurs de droits audiovisuels, dans un proche avenir, est de s’ouvrir à l’international. Un film comme Valérian réalise plus de 30 millions d’entrées dans le monde. Le succès du film animé LePetit Prince a relancé les ventes du livre dans plusieurs pays émergents, dont la Chine. Aussi la Scelf réfléchit-elle à une extension de Shoot the book! au Festival de Cannes dans les années qui viennent. Gilles Haéri évoque "la forme d’un marché international des droits audiovisuels, un peu sur le modèle des rencontres audiovisuelles organisées par la Scelf au salon Livre Paris".

Shoot the book! prend de l’ampleur

 

Le rendez-vous de l’adaptation au Festival de Cannes attire toujours plus d’éditeurs en faisant évoluer son concept.

 

Les réactions sont unanimes, du côté des organisateurs comme des onze éditeurs interrogés: Shoot the book!, le rendez-vous de l’adaptation créé en 2014 au Festival de Cannes, s’est installé sur la Croisette et continue de grandir. "De plus en plus d’éditeurs viennent à Cannes", confirme Didier Dutour, responsable du pôle Livre et médiathèques à l’Institut français. Cette année, 22 représentants de 35 maisons d’édition seront présents au Festival. Si le taux de transformation en options apparaît faible parmi les films "pitchés" (voir graphique ci-dessous), il ne faut pas se fier aux apparences. "Il faut souvent deux ou trois ans avant que les choses se fassent", rappelle Alexandra Buchman (Place des éditeurs). Surtout, "Shoot the book ! permet un coup de projecteur sur le catalogue. Nous travaillons essentiellement avec des producteurs français et l’opération nous permet de nous ouvrir à l’international. C’est un catalyseur", se félicite Maÿlis Vauterin chez Stock.

Tisser des liens

Tous les éditeurs partagent cette analyse. Shoot the book! est "plus une vitrine qu’un lieu où les contrats se concluent", selon Laure Saget (Flammarion). "Cette cerise sur la fraise", comme la définit Didier Dutour, a vocation à devenir un outil de "soft power". "Le rendez-vous est un programme de transversalité", ajoute-t-il, précisant que "les auteurs ne se limitent plus à leurs livres. Un auteur devient une "propriété intellectuelle" qu’on peut développer dans tous les arts et sur de multiples supports."

En outre, ce genre d’opérations "permet de se déplacer dans des événements audiovisuels où nous n’irions pas individuellement, complète Judith Becqueriaux (Denoël). Cela augmente notre force de frappe". Pour Etienne Bonnin (Glénat), "au-delà de la signature des contrats, ce qui est important c’est de rencontrer des producteurs. Pour qu’ils sachent qu’on existe, ce qu’on fait et qu’il y a une personne de référence à laquelle ils peuvent s’adresser."

Tout en élargissant les réseaux des éditeurs, Shoot the book! renouvelle l’image de l’édition hexagonale avec des genres (BD, polar…) qui ne sont pas forcément identifiés comme français. De plus, la manifestation aide les éditeurs à comprendre les intérêts de producteurs chinois ou de plateformes comme Netflix. Le géant américain, qui a 8 milliards de dollars à investir dans la création, a ainsi rencontré cinq éditeurs français à l’automne dernier à l’occasion du Shoot the book! de Los Angeles.

Pour renforcer encore les liens entre les deux industries culturelles, l’événement s’enrichit et grandit. Initialement au cœur du dispositif, la séance de pitchs des livres sélectionnés ne représente plus qu’un quart du planning cannois.

En collaboration avec EAVE, principal réseau de producteurs audiovisuels européens, une journée professionnelle sur l’adaptation et la coproduction internationale s’est inscrite dans l’agenda depuis 2017. Par ailleurs, l’après-midi de rendez-vous individuels entre éditeurs et producteurs, jusqu’ici hébergés par le pavillon des Cinémas du monde de l’Institut français, se tient à présent au pavillon du Centre national du cinéma. Cet accord avec le CNC montre que les territoires autrefois étanches du livre et du cinéma voient leurs frontières s’abolir. "Shoot the book ! est une Fabrique de la création, comme nous avons une Fabrique du cinéma", assume Didier Dutour, qui veut aider les adaptations en quête de financements et de coproducteurs.

Faire reconnaître le livre

A travers cette vision à la fois globale et locale, un combat beaucoup plus large se profile: la défense du droit d’auteur, et celle de la place de l’éditeur dans la chaîne des droits, avec de solides interlocuteurs pour les producteurs, et la promotion des auteurs. "Avoir un livre adapté est une plateforme extraordinaire pour un auteur", souligne Didier Dutour. Pour Laurent Duvault (Mediatoon/Média-Participations), "Shoot the book! permet de faire reconnaître le livre comme une vraie source de création. Il est important de redonner un coup de projecteur sur le livre. En France, il est courant de faire des adaptations. Mais dans d’autres pays comme la Chine, c’est plus récent."

D’autres déclinaisons sont au programme, tout comme le développement d’un événement professionnel mondial, qui pourrait lier la Foire de Francfort et le Festival de Cannes. Shoot the book!, initié humblement par Paul Otchakovsky-Laurens et désormais inscrit dans l’agenda du marché du film, devient peu à peu le navire amiral de la promotion de la culture française à travers le livre dans l’univers glamour du 7e art.

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