Brive 2023

Christian Signol : « Il faut que les gens se reconnaissent dans ce qu'ils lisent »

Christian Signol dans les locaux d'Albin Michel en octobre. - Photo Olivier Dion

Christian Signol : « Il faut que les gens se reconnaissent dans ce qu'ils lisent »

Ses chiffres de vente donnent le tournis depuis Les cailloux bleus en 1984. Ce Briviste d'adoption revient pour nous sur trois de ses domaines de prédilection : la littérature de terroir, la Foire du livre et l'amitié.

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Par Jacques Braunstein, Jean-Claude Perrier
Créé le 11.11.2023 à 08h25 ,
Mis à jour le 13.11.2023 à 09h43

Sous ses allures de monsieur Tout-le-monde, sa discrétion, se cache un véritable phénomène, unique dans notre paysage éditorial. Christian Signol, c'est 40 ans de carrière, 45 ouvrages publiés, des millions d'exemplaires vendus, dans l'hexagone certes, mais aussi dans 15 autres pays. Des sagas à succès portées à l'écran, où elles ont battu des records d'audimat. La raison de tout cela ? Sans doute une fidélité à soi-même, à sa région d'origine, le Quercy où il est né, Brive où il a fait toute sa carrière à la mairie, à un genre littéraire, le roman « grand public », enraciné dans un terroir, qu'il rapproche du « nature writing » américain. Au moment où sort son nouveau roman, Une famille française (Albin Michel), il a été à l'honneur à la Foire du livre de Brive jusqu’au 12 novembre, dont il est l'un des piliers depuis les origines. L'occasion de retracer son parcours et de parler de son travail.

Livres Hebdo : Votre premier roman, Les cailloux bleus, est paru en 1984. Comment tout cela a-t-il commencé ?

Christian Signol : Très difficilement ! Durant dix ans, mes manuscrits ont été refusés chez plusieurs éditeurs : Robert Laffont, Grasset, Denoël... J'avais eu deux textes publiés aux Presses de la Cité, en 1978, dans l'indifférence générale, Antonin, paysan du Causse, et Les amandiers fleurissaient rouge, qui ont été repris plus tard, en 1986 et 1988, avec succès, chez Robert Laffont. Mes modèles en littérature étaient des gens comme Bernard Clavel, Robert Sabatier ou Georges-Emmanuel Clancier, sans remonter à Genevoix ou à Giono ! Je savais que j'écrivais « comme eux », sur des gens qui se reconnaîtraient dans mes livres. Mais lorsque j'envoyais mes manuscrits à Jacques Peuchmaurd, directeur littéraire chez Robert Laffont, un Corrézien, il me disait : « C'est bien, mais on est à pied. » Mon récit n'allait pas assez vite, il fallait survoler des époques, les évoquer. C'était une question de technique. Et l'écriture, ça s'apprend. Il faut croire que j'y suis arrivé avec Les cailloux bleus, en 1984. Du jour au lendemain, 100 000 exemplaires en grand format, 200 000 chez France Loisirs, club de livres tout-puissant à l'époque, et 200 000 en poche. C'est ce que j'appelle un « miracle » mérité.

Cependant, vous avez gardé la tête froide, et n'avez pas quitté tout de suite votre travail.

En effet. J'étais père de famille ! Je suis resté fonctionnaire administratif à la mairie de Brive jusqu'en 1995. Au moment où Isabelle Laffont, la fille de Robert, qui était alors mon agent pour les droits audiovisuels, m'a décroché un contrat pour l'adaptation de La rivière espérance, une trilogie parue de 1990 à 1993. Josée Dayan en a tiré huit épisodes d'une heure quarante, produits par Jacques Salles, et « vendus » à Didier Decoin, qui était alors directeur de la fiction à Antenne 2. Ça a fait un carton ! J'ai pu me consacrer seulement à l'écriture, tout en restant vivre à Brive.

D'où votre rattachement à la fameuse « école de Brive » ?

Vous savez, c'était en fait un label commercial, inventé par Peuchmaurd, qui faisait déjà venir à Brive des écrivains. Il a recruté Claude Michelet, Michel Peyramaure, Denis Tillinac et moi, qui nous connaissions sans plus, mais étions très différents. Et puis il y a eu un article fameux de Jacques Duquesne dans Le Point, qui a installé la chose. Le seul avec qui j'étais lié d'amitié, c'était Peyramaure. Aujourd'hui, je suis le dernier survivant.

Entre autres fidélités, celle à vos éditeurs ?

Oui. J'étais très lié à Robert Laffont. Lorsqu'il a été évincé de sa maison en 1993 au profit de Bernard Fixot, je suis parti par fidélité. Et c'est Isabelle Laffont qui m'a amené chez Albin Michel, où son mari Richard Ducousset est directeur littéraire. J'y suis depuis 1996.

Il n'y a aucun secret là-dedans, tout est logique.

Christian Signol - « Il faut que les gens se reconnaissent dans ce qu-ils lisent »1.jpg
Photo OLIVIER DION

Qu'est-ce que ça a changé dans votre carrière ?

Grâce à la puissance éditoriale et commerciale d'Albin Michel, mes tirages, mises en place et ventes, ont encore augmenté. Mon record absolu, c'est Les Noëls blancs (paru en 2000) : 200 000 exemplaires en grand format, 150 000 en clubs, 100 000 en poche.

Romancier populaire à succès, avez-vous l'impression d'avoir été snobé par la critique littéraire parisienne ?

J'ai subi un certain mépris, mais je n'en ai pas souffert. Moi, ce sont les libraires qui font vendre mes livres. Je connais mes capacités et mes limites. Je sais faire des sagas, raconter des histoires qui parlent aux gens, se situent dans la « vraie vie », que j'appelle le monde sensible. Avec un terroir, des odeurs, des sensations. Au fond, je suis assez proche du nature writing à l'américaine, promu en France par mon ami l'éditeur Oliver Gallmeister, notamment, avec lequel je pêche à Beaulieu-sur-Dordogne.

Votre dernier roman, Une famille française, est plus « urbain » que les précédents.

Oui, comme il se déroule sur une assez longue période, plus de 70 ans, et sur quatre générations de personnages, les Bastide, il s'ouvre à de nouvelles problématiques très actuelles, le milieu décrit a évolué de la campagne vers les villes. Comme dans 70 % des familles françaises, les enfants ont quitté la terre pour les villes.

Y avez-vous glissé des éléments personnels ?

Mes parents étaient commerçants, fils de paysans du Lot. Je suis un peu comme mon héros, Antoine, pas très à l'aise avec son époque, mais contraint de s'y adapter, parce qu'il a des petits-enfants. Je ne peux bien écrire que sur ce que je connais bien.

Quel regard portez-vous sur votre parcours, vos 45 livres ? Comment travaillez-vous ?

C'est trop ! Mais j'écris à raison de deux pages par jour, tous les jours, j'écris tous les matins, à partir d'un synopsis, mais en laissant mes personnages prendre vie. Quand j'écris, j'ai l'impression d'un saut en parachute, d'une apesanteur. « Écrire, c'est nager sous l'eau », disait Fitzgerald.

La Foire de Brive, c'est important, pour vous ?

J'ai participé à sa préhistoire, quand on posait quelques tables sur la place, et j'y viens chaque année, forcément. C'est même la seule. À Brive, je joue à domicile. J'y signe en moyenne plus de 1 000 livres en trois jours. Un vrai miracle que cela dure et tienne. Les gens viennent me voir, me parler, me racontent des histoires. Et je reçois aussi pas mal de courrier, papier ou courriel. Je réponds toujours à mes lecteurs. Il faut que les gens se reconnaissent dans ce qu'ils lisent. Je leur parle aussi de valeurs, le courage, l'effort, l'honnêteté, les racines, considérées comme un peu désuètes aujourd'hui. À moins qu'on n'assiste à un revival. 

 

Retrouvez, dans le "Brive-express", dans les allées de la Foire ainsi que dans votre kiosque numérique, le hors-série gratuit de Livres Hebdo consacré à la Foire du livre de Brive 2023. 

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