Un nouvel Ovaldé, c’est la promesse de chevaucher, bride sur le cou, dans un monde où l’imaginaire a infiltré le réel. De parcourir des lieux qui n’existent sur aucune carte, d’y croiser des indigènes aux identités exotiques et d’entrer dans des contes noirs à la candeur équivoque. Ainsi s’est écrite en treize ans et sept romans la légende de l’écrivaine. « Maria Cristina Väätonen, la vilaine sœur, adorait habiter à Santa Monica. » L’incipit de son huitième roman laisse penser qu’on pénètre en terre familière, chez elle. Familière, l’héroïne au prénom sonnant latino (Ce que je sais de Vera Candida). Familières, la ville de bord de mer (Des vies d’oiseaux) ou, quelques pages plus loin, la rivière Omoko (Et mon cœur transparent)… Pourtant, cette fois-ci, Santa Monica est bien à côté de Los Angeles, et c’est bien le Pacifique qui longe la Californie. Puis, très vite, le roman révèle un double fond d’où sort, telle une poupée gigogne, un « je » narrateur qui se met à raconter ce qu’il sait de Maria Cristina.
L’héroïne est écrivaine. Elle a connu le succès dès son premier roman, La vilaine sœur, un récit autobiographique publié alors qu’elle était encore mineure. A la fin des années 1980, quand on la rencontre au début du livre, elle a 30 ans et des poussières, et est « encore dans l’insouciant plaisir d’écrire, acceptant la chose avec une forme d’humilité et le scepticisme prudent qu’on accorde aux choses magiques qui vous favorisent mystérieusement ». Quinze ans plus tôt, elle a fui Lapérouse, «une ville calme et froide » du Grand Nord, pour échapper à la dictature paranoïaque d’une mère folle du Seigneur. Quand elle est arrivée seule à Los Angeles au milieu des années 1970, avec sa culpabilité et son innocence, elle a croisé deux personnes qui ont réorienté le sens de sa vie : Joanne, son épatante colocataire, bohème, très avisée, célibataire et… enceinte. Et Rafael Claramunt, un grand écrivain, poète réfugié d’Argentine - un monstre littéraire entre Pablo Neruda, Gabriel García Márquez et Diego Rivera -, figure d’ogre-mentor dont l’adolescente est devenue la secrétaire particulière, puis l’amante.
La nécessité du départ, les relations familiales empoisonnées, le pouvoir des hommes et la puissance des femmes, la conquête de la liberté, les dettes originelles…, Maria Cristina incarne toutes ces récurrentes obsessions ovaldiennes, mais la romancière a modifié un peu le dosage de sa potion, dans ce creuset où infusent les décoctions de tant d’autres sorciers et sorcières (on pense ici à Jeanette Winterson, Paula Fox ou Janet Frame). Adoptant pour la première fois une position narrative plus exposée, mais moins introspective que réfléchissante, elle a également ajouté des ingrédients inédits, une réflexion autour de l’écriture, du statut de l’écrivain que les personnages portent sans jamais théoriser, avec beaucoup de naturel. Ainsi ancrée (en partie) dans un réalisme moins onirique, cette «grâce des brigands » paraît plus directe, plus crue, plus dure. Et la lucidité indulgente de la fabuliste pour les contradictions et les faiblesses des cœurs se teinte de plus de désenchantement.
Mais que les fidèles de Véronique Ovaldé soient rassurés : ils retrouveront aussi ses tours de conteuse fatale, son art de la digression, sa fantaisie acidulée - une maison aux murs « rose-cul », un chauffeur de taxi qui se fait appeler Judy Garland… Si sa Maria Cristina, en vieillissant, allège son maquillage, met parfois des tongs à la place des mules à talons, elle habille toujours ses lèvres d’un « rouge catégorique ». La signature Ovaldé.
Véronique Rossignol