La crise sanitaire s’impose à nous. On ne peut pas y échapper. Ça n’enlève rien à ce qui compte par ailleurs, et c’est même un moment révélateur des aspérités des liens sociaux. Je constate que certains acteurs ont un rôle social, habituellement, mais aussi un rôle particulier, en cette période. Les bibliothèques et les lieux culturels en font partie. Pour les librairies, c’est aussi le cas. Car la librairie c’est à la fois un lieu de « promenade », de découverte et d’échange. Pour ces raisons-là, avec Anne Hidalgo, nous considérons qu’il s’agit de commerces essentiels. Si de nombreux Français sont atteints par la maladie, les autres doivent continuer à vivre. Et vivre ce n’est pas uniquement se nourrir et prendre soin de sa santé. Je suis fondamentalement convaincue que nous avons besoin d’évoluer, et le livre répond à cela.
Anne Hidalgo, le 2 novembre, a souhaité que les parisiens ne passent par Amazon. Comment la ville peut inciter les acheteurs de livre à s’en détourner et à commander en librairie ?
Anne Hidalgo a rejoint ce mouvement des libraires parce qu’ils étaient unanimes, ce qui n’était pas le cas au printemps. On voit aussi qu’il y a la possibilité de convaincre le gouvernement d’ici l’échéance du 12 novembre de changer sa position sur les librairies. On sait enfin que les librairies font extrêmement attention aux règles sanitaires. Il ne s’agit pas de les braver, mais de faire confiance.
Pour répondre à votre question sur Amazon, inciter à interdire, ça ne fait pas très envie. Notre rôle est plutôt d’inciter à aller dans les librairies indépendantes. On peut faire connaître le plus et le mieux possible le « click & collect ». Il y a votre carte interactive pour cela. Pour ce qui est moins ponctuel, la ville a des outils comme ceux de la délégation aux commerces dont Olivia Polski a la charge. Tous les ans, il y a un appel à projets en termes d’investissements pour que les librairies puissent refaire leurs vitrines ou leur aménagement. Après, tout est une question de pédagogie pour inviter les parisiens à aller dans leur librairie de quartier…
A moins d’un quart d’heure ?
Voilà, à moins d’un quart d’heure. Absolument. Mais je rappelle que la ville du quart d’heure ne signifie pas se cantonner à un quart d’heure. Les librairies peuvent être une destination, par leur emplacement ou leur thématique. On peut traverser Paris pour une librairie de passion, parce qu'on a un lien personnel avec un libraire.
Même si le commerce n’est pas dans vos attributions, que peut faire la ville de Paris pour aider les librairies durant cette crise ?
Déjà, il y a ce que le gouvernement a réussi à obtenir cette fois-ci, à savoir les possibilités d’exonérations de loyers de la part de bailleurs privés. Quand on est dans des baux publics ou dépendant de la ville, il y a déjà ces exonérations de loyer. Pour ce qui est de la fragilité économique des commerces, on a eu un séminaire mercredi 4 novembre avec Emmanuel Grégoire [Premier adjoint à la ville de Paris, ndlr] sur ce sujet. Il s'agissait de savoir « Comment on accompagne ces commerces de rez-de-chaussée ? ». Un commerçant attend de pouvoir travailler et d’avoir une utilité. Donc on travaille autour de la place des commerces de proximité, dont la librairie, dans la ville. Quels services réels rendent-ils et comment le prenons nous en compte. Pour l’instant, on en est à l'ébauche du projet.
N'êtes-vous pas inquiète par l'arrivée d'une vague de faillites ?
La situation est compliquée mais les commerces sont soutenus économiquement par différentes aides. Pour l’instant je n’ai eu qu’une alerte dans le secteur culturel, celle d’un cinéma. On anticipe une crise, mais ça ne peut pas être traité chacun dans son coin : c’est du commerce, c’est de l’urbanisme, c’est de la culture. Il faut juste éviter que ça devienne de l’urgence.
Les bibliothèques sont aussi impactées par ce deuxième confinement. Comment souhaitez-vous accompagner les établissements pour que les parisiens puissent avoir accès à la lecture ?
Nous mettons en place le prêt-retour avec un mécanisme de guichet, impliquant la réservation ou la pré-réservation. Nous considérons que c’est un service indispensable pour les raisons que j’évoquais plus tôt avec les librairies. Confiné ou non, on a besoin de se nourrir autrement que matériellement. Les documents qu’on peut emprunter en bibliothèques ont cette utilité. Les syndicats assimilent ça à une ouverture, mais il faut bien un lieu pour déposer et pour retirer les documents.Nous n’ouvrirons que cet espace-là. Pour les autres espaces, les établissements ont vocation à rester fermés puisque nous n’avons pas le droit de recevoir du public. En revanche, nous maintenons les activités hors-les-murs, dans le temps scolaire et périscolaire. C’est autorisé, et on l’encourage. Sur la base du volontariat, les personnels des bibliothèques peuvent participer à des initiatives extérieures. Enfin, on conserve le portage à domicile pour les personnes âgées. Lors d’un récent CHSCT, certains syndicats ont été favorables à cette politique. D’autres sont plus réticents. Il y aura un comité technique cette semaine. Il ne s’agit pas de prendre des risques, ni de revenir vers les usagers coûte que coûte. Mais leur mission est tournée vers les habitants et les habitantes. Et on sent leur envie de rendre ce service. Du premier confinement, on a appris que les usagers comme les personnels sont conscients de leur responsabilité sanitaire.
Dans votre première grande déclaration comme adjointe à la Culture, en septembre, vous avez annoncé des nouveaux établissements, quels seront-ils ?
On a 57 bibliothèques à Paris. C’est un lieu culturel de quartier. On est à la fois dans la proximité et l’ouverture au monde, avec un lien humain très présent. On va continuer à ouvrir des établissements là où il n’y en a pas. La première sera dans le 19e arrondissement, dans l’ancien lycée Jean Quarré. Elle portera un très beau nom mais je ne peux pas encore l’annoncer. Il y en aura plus au sud de Paris. Grâce aux équipes qui animent ces bibliothèques, il n’y a pas la même offre ni les mêmes activités selon les quartiers. Le rapport Orsenna pointait très bien cette diversité. On peut y étudier, y travailler, y faire ses démarches administratives. C’est un service public toujours adapté à son environnement : c’est donc très culture et très « quart d’heure ».
Justement le rapport Orsenna préconisait aussi un élargissement des horaires d’ouverture, ce qui n’a pas été sans poser des difficultés à vos prédécesseurs. Où en est-on avec ce dossier ?
On en est à sept établissement ouverts le dimanche. Nous en discutons avec les syndicats, notamment pour une médiathèque du 13e arrondissement. S’adapter aux rythmes de vie des parisiennes et des parisiens fait en effet partie de nos priorités. Ils ont le souhait d’aller en bibliothèque le dimanche, parce que les autres jours de la semaine, ils ne peuvent pas. Ce temps de respiration qu’est le dimanche, s’il est utilisé pour aller dans un lieu culturel, ça nous paraît important. La bibliothèque Robert-Sabatier dans le 18e va être concernée lors de sa réouverture, entièrement réaménagée pour correspondre aux attentes des usagers.
Avec ces investissements, on peut imaginer que le budget de la Culture ne va pas baisser...
C’est actuellement en discussion. Le contexte complique tout. Mais il y a mécaniquement une augmentation avec la réhabilitation et la construction de nouveaux établissements., et les équipes pour les faire fonctionner. On a commencé à discuter du budget avant le deuxième confinement. Lors du premier confinement, la Ville avait déclenché un plan de soutien. Là, on est de nouveau dans une interruption quasiment totale de l’activité culturelle, pour une durée indéterminée. Entre temps, les finances des collectivités locales se sont dégradées. La maire de Paris discute beaucoup avec le gouvernement sur les compensations qu’elle demande.
Et le centre d’archives LGBT va-t-il enfin voir le jour ?
Je n’ai pas encore eu accès à ce dossier, mais le centre est toujours d’actualité. Paris a un rôle à jouer sur ce sujet. Lors de ma première conférence de presse à la rentrée, j’avais évoqué la pluralité des identités. Je ne parle pas de communautés séparées et étanches. Ce centre est donc nécessaire.
Paris essaye régulièrement d’avoir un festival littéraire, sans succès réel. Quels projets avez-vous pour dynamiser la lecture ?
Il y a la maison de la Poésie, qui dépasse amplement la Capitale. Il y a aussi des résidences d’écrivains. Est-ce qu’il nous faut un événement supplémentaire ? C’est à l’étude. Mais la littérature est essentielle à nos liens sociaux. Que Paris s’en empare, ça a du sens. Il y a un aspect patrimonial, historique, démocratique et vivant. On a parlé des bibliothèques, des librairies : on voit bien qu’il y a un fil rouge. Je raisonne plutôt comme ça : qu’est-ce qui est en place, et qu’est-ce qui peut en émerger. Déjà, faisons vivre ce qui est en place.
Concernant les auteurs, y a -t-il des projets que vous souhaitez mettre en place ?
Au prochain Conseil de Paris, Anne Hidalgo va proposer une subvention à la Société des gens de lettres. Il est vital de soutenir la création si on veut avoir une politique culturelle. Il est important cde proposer des résidences, des animations avec des auteurs dans les bibliothèques, d’inviter les auteurs dans les lieux de spectacle vivant, bref de les valoriser et de les faire connaître. Mais n’oublions pas la précarisation des auteurs. Au prochain Conseil de Paris, il y aura une communication transversale sur l’emploi, par Afaf Gabelotaud, qui concernera aussi les artistes et les auteurs, même si ce n’est pas vraiment une prérogative municipale.
Le 4 novembre, on devait inaugurer la maison Victor Hugo, restaurée. La réouverture de Carnavalet approche. La directrice de Paris Musées, Delphine Levy, a disparu brutalement cet été. Saura-t-on bientôt qui lui succédera ?
On devrait le savoir au début de l’année. La procédure est en cours.
Et pour fininr, dans quelle librairie allez-vous ?
Vous allez considérer que c’est une pirouette. C’était celle où j’allais quand j’étais enfant à Saint-Brieuc. J'avais une marraine passionnée de littérature jeunesse et j’y ai passé des après-midi entières.
Et quels livres lisez-vous en ce moment ?
J’ai toujours beaucoup de livres sur ma table de nuit: Le temps où nous chantions de Richard Powers (Cherche-midi), que j'ai commencé cet été, Bleuets de Maggie Nelson (Sous-sol) et les conférences d’Albert Camus (Gallimard), notamment celle d’Uppsala, Le discours de Suède, sur la place de l’auteur dans la société.