Christian Schumacher-Gebler, P-DG de la filiale allemande du groupe suédois Bonnier depuis 2014, a, lors d'un Executive talk donné à la Foire de Francfort le 17 octobre, exposé les principaux enjeux de l'édition allemande. Ceci en mettant l'accent sur l'impact croissant des éditions anglaises bon marché et la nécessité d'adapter le secteur aux transformations technologiques.
Croissance quasi organique
Bonnier Allemagne occupe la première position du marché allemand avec un chiffre d'affaires de 330 millions d'euros. Cette domination repose sur une croissance quasi organique de 110 millions d'euros sur dix ans (soit 4,1% de croissance en moyenne par an), ceci sans acquisition majeure hormis l'achat du groupe Münchner en 2017 pour 20 millions d'euros, lequel génère désormais « 40 millions de chiffre d'affaires ».
« Cette position n'a jamais été notre objectif », a précisé Christian Schumacher-Gebler. « Elle est le fruit du développement de chaque maison d'édition du groupe, année après année ». Ce dernier est composé de dix maisons d'édition fonctionnant de manière autonome, chacune dirigée par deux directeurs au même niveau hiérarchique : l'un responsable de l'édition, l'autre de la gestion administrative.
Crise des droits anglais
La question des éditions en langue anglaise constitue le principal enjeu du moment pour le P-DG. Les éditeurs britanniques et américains commercialisent des éditions de poche bon marché en parallèle de versions cartonnées dans les territoires européens, à des prix compris entre 8 et 11 euros, détruisant les fenêtres commerciales des éditeurs locaux. Cette pratique pénalise notamment les auteurs établis comme Sally Rooney et Dan Brown, dont les royalties diminuent avec la baisse des prix de vente, clame le dirigeant.
Christian Schumacher-Gebler préconise une rotation des droits anglais entre éditeurs européens pour les grands titres internationaux. « Si un éditeur allemand, français ou néerlandais produisait une édition cartonnée de qualité en anglais, les royalties des auteurs augmenteraient et les revenus resteraient en Europe », a-t-il argumenté. Cette approche est actuellement explorée par plusieurs éditeurs allemands, bien que certaines filiales du groupe concurrent Bertelsmann, à qui appartient notamment la marque internationale Penguin Random House, rencontrent des obstacles internes.
Intelligence artificielle : opportunités et garde-fous
Sur l'IA générative, sujet abordé lors de chaque rencontre à la Foire de Francfort 2025, Christian Schumacher-Gebler prône une distinction entre les enjeux de propriété intellectuelle et les outils opérationnels. Bonnier Allemagne entend exploiter l'IA pour améliorer la gestion des métadonnées, l'édition de couvertures animées ou la publicité, tout en refusant de substituer des voix synthétisées aux narrateurs humains dans l'audiobook. « Nos lecteurs écoutent consciemment une voix », a-t-il expliqué. « Cette dimension humaine distingue l'audiobook de la synthèse vocale appliquée à un article de presse », a-t-il argumenté.
Le secteur de l'audiobook fonctionne à titre professionnel, justifiant selon lui le maintien de rémunérations pour les acteurs. « Pourquoi changer un modèle économique viable ? », a-t-il questionné ?
Détail et confiance
Interrogé également sur sa stratégie managériale, Christian Schumacher-Gebler a partagé que celle-ci repose sur l'octroi d'autonomie aux directeurs des maisons d'édition, excepté sur les contrats majeurs et les négociations avec les grands acteurs (Spotify, Amazon). Son rôle consiste ainsi à maintenir une vision d'ensemble et à servir de « partenaire de débat » plutôt que d'imposer des orientations éditoriales.
La persistance de 3 500 points de vente physiques en Allemagne demeure un atout face à la concentration américaine autour d'Amazon, a-t-il également rappelé. Le dynamisme du segment jeunesse adulte, qui attire des lecteurs plus jeunes vers des éditions de qualité, renforce cet écosystème de distribution diversifiée.
Bonnier Media Allemagne est né en 1995, 15 ans après que le groupe Bonnier ait découvert « par hasard » le marché allemand par l’acquisition d'une filiale du groupe danois Carlsen Verlag en 1980 au moment du rachat de ce dernier. Quarante-cinq ans plus tard, cette incursion non planifiée constitue la principale source de revenus du groupe en Europe continentale…