D’abord, sa mère est morte. Progressivement. Elle a perdu la tête, puis la vie. Et Blanca, sa fille, ne sait pas très bien que faire de cette mort, comment s’organiser avec elle, transiger avec la douleur. Tenir à distance l’absence de cette femme magnifique, excessive, dont tout peut être mis en doute si ce ne fut son amour et sa vitalité, n’est pas chose facile. Alors, même flanquée de ses enfants, son amant, ses ex-maris, ses amies et ses nuits blanches, Blanca s’en va. Au bout du monde, de ce monde dont elle est une "princesse consort", dans sa maison familiale de Cadaqués. Elle met en route la machine à souvenirs et à consolation. Elle sait que rien ne vaut rien hormis le sexe qui est pas mal et l’amour qui sera sa grande affaire compliquée. Pour le reste, il y a les lents couchers de soleil sur la Méditerranée "et pourtant la lumière rose et blanche du matin, l’air diaphane, la mer étincelante et calme démentent toutes les tragédies du monde et s’obstinent à affirmer que nous sommes heureux et que nous avons tout".
Milena Busquets, elle aussi, paraît avoir tout. Tout pour (dé)plaire. La jeunesse encore, la beauté (un faux air d’Uma Thurman) et le CV bourgeois bohème le plus irréprochable : un roman en passant, un peu de "journalisme" dans une presse vaguement people, un boulot d’attachée de presse pour une maison de mode et, pour faire bon poids, la création d’une maison d’édition, histoire de ne pas déchoir de la mythologie maternelle lorsque l’on est la fille d’Esther Tusquets, la mère pélican de l’édition espagnole, à la tête d’Editorial Lumen. Seulement voilà, la mort de l’une en 2012 révèle l’autre en écrivaine au fil d’un Ça aussi, ça passera parsemé d’épiphanies douloureuses et cristallines. La Foire de Francfort 2014 ne s’y est pas trompée, tombée sous le charme, et suscitant près de trente contrats de traduction. Comme son héroïne, Milena Busquets sait se tenir. Sur le fil entre la frontalité de l’autofiction et la mièvrerie du roman sentimental, sans jamais verser dans l’un ou l’autre de ces écueils. Sans doute les lecteurs français ne pourront-ils pas ne pas songer à identiquement cruel et inaugural Bonjour tristesse de Sagan. Les enfants bobos des hippies de Cadaqués y auront succédé aux vieux beaux de Saint-Tropez, mais après tout, ce n’est qu’affaire de style. Une grande et belle affaire. Olivier Mony