Interview

Bodour Al Qasimi : "Je voulais créer un réseau pour que les éditrices s'entraident"

Bodour Al Qasimi à Francfort le 17 octobre 2019 - Photo PublisHer Flickr

Bodour Al Qasimi : "Je voulais créer un réseau pour que les éditrices s'entraident"

"Nous plaidons pour que les cultures de travail non sexistes et méritocratiques soient la norme", déclare Bodour Al Qasimi, vice présidente de l'Union Internationale des éditeurs et directrice de PublisHer. Entretien avec la fondatrice de ce réseau qui milite pour l'égalité des genres dans le monde de l'édition.

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Par Dahlia Girgis,
Créé le 23.11.2020 à 20h02

Le manque de diversité et les inégalités de genre dans le monde de l'édition ont poussé Bodour Al Qasimi, la vice-présidente de l'Union Internationale des éditeurs à réagir. En 2019, elle lance PublisHer, une plateforme d'entraide pour que les femmes se développent davantage dans ce milieu. Livres Hebdo a discuté du projet et de l'avenir de PublisHer avec sa fondatrice.

Quelle est l'origine du projet PublisHer ?

Lorsque j'ai lancé PublisHer à la Foire du livre de Londres, c'était l'aboutissement d'une idée qui couvait dans mon esprit depuis plusieurs années. Pendant ma carrière d'éditrice, j'ai parlé à des femmes du monde entier qui m'ont raconté les mêmes défis liés au genre et la même frustration de ne pas savoir comment les relever.

Malgré une mauvaise image, la notion de "old boys’ network"- réseaux d'anciens garçons des écoles élitistes -  est bien établie et a longtemps privilégié ses membres. Les hommes se regroupent instinctivement et s'entraident pour progresser. D'une manière générale, les femmes sont désavantagées car elles n'ont pas accès aux mêmes types de structures et doivent se frayer un chemin uniquement en fonction de leur mérite. Je voulais créer un réseau pour que les éditrices s'entraident, non pas parce qu'elles sont allées à la même école, mais parce qu'elles ont des intérêts communs.

Comment fonctionne le réseau PublisHer ?

Mon objectif pour la première année était de tirer le meilleur parti de toutes les possibilités qui s'offraient à nous pour faire passer le message et construire une communauté importante. Pour cela, nous avons organisé des dîners et des conférences, généralement en marge d'autres événements importants de l'industrie de l'édition. On a touché des centaines de femmes seniors dans leurs métiers et provenant d'une multitude de pays. Nous avons développé la marque en lançant le site web et nos réseaux sociaux, nous avons créé un bulletin d'information trimestriel et nous avons formé un conseil d'administration.

La deuxième année, l'idée était de commencer à proposer des solutions pratiques aux défis que nous avions définis et diagnostiqués. Nous avions mené l'Enquête de la Communauté PublisHer, afin d'interroger les femmes sur leur vie professionnelle et leurs expériences dans l'édition, et à partir des réponses et d'autres recherches supplémentaires, nous avons produit notre Guide de la diversité et de l'inclusion. La prochaine étape logique consiste à élaborer un Kit de la diversité et de l'inclusion, une ressource de soutien spécifique à l'édition pour aider les entreprises à évoluer et devenir des lieux de travail diversifiés et inclusifs. Nous terminons les finitions de ce Kit, pour le lancer avant la fin de l'année.
 

Conférence PublisHer à Nairobi le 13 juin 2019- Photo PUBLISHER FLICKR

 
De quels autres moyens disposez-vous?

Nous sommes à mi-chemin de notre programme pilote de mentorat, lancé cette année. Il s'agit d'un projet vraiment pratique où nous organisons des rencontres en ligne entre des éditrices de premier plan et des femmes à différents stades de leur carrière, qu'elles soient débutantes ou déjà expérimentées mais en quête d'inspiration. Pendant une heure, elles discutent des aspirations de la personne, de la manière de débloquer ce qui peut les retenir, des stratégies de progrès, etc. Naturellement, la Covid-19 nous a obligé à repenser nos plans et à trouver de nouveaux moyens ppur aider nos membres.

Comment expliquer qu'une telle initiative est nécessaire pour avoir l'égalité des genres en 2020 ?

Les questions que nous abordons reflètent un statu quo séculaire. Dans l'ensemble, il y a encore de nombreuses personnes et cultures dans le monde qui ne savent même pas qu'il y a un problème. Un changement réel et durable prend toujours du temps, et nous savons que nous ne pourrons pas changer les règles du jeu du jour au lendemain. Mais le changement est possible. Nous l'avons vu sur des marchés développés comme le Royaume-Uni et les États-Unis, où une majorité de cadres de l'édition sont maintenant des femmes. Avec ces exemples à suivre et auxquels nous aspirons, je suis certaine que nous pouvons apporter des différences positives dans d'autres pays et sur d'autres marchés de l'édition.
 
Les entreprises dont la direction est diversifiée sont plus performantes. Bodour Al Qasimi

Nous plaidons pour que les cultures de travail non sexistes et méritocratiques soient la norme, et pas seulement parce que c'est la bonne chose à faire. Il existe des montagnes de preuves qu'il y a un avantage commercial tangible à créer des entreprises qui récompensent les gens pour leur talent et leur action, et non pour ce qu'ils sont. Pour dire les choses clairement, les entreprises, dont la direction est diversifiée, sont plus performantes.

Quelles sont les difficultées rencontrées ?

Actuellement, nous sommes principalement confrontés à des défis logistiques, pour des raisons évidentes, mais nous avons la chance d'avoir pu remplacer certaines de nos activités présentielles par des alternatives en ligne. Nous avons filmé des tables rondes et des interviews via Zoom, fourni du contenu vidéo pour les foires du livre de Nairobi et de Francfort, et nous organisons ce que nous appelons une discussion "PublisHer Circle" pendant la Jakarta Content Week, le 13 novembre.
 
En dehors de cela, nous sommes toujours à la recherche de parrainages, ce qui nous aide à faire plus. C'est particulièrement vrai pour les nombreux événements physiques que nous avons organisés en 2019, où nos généreux sponsors nous ont permis d'être si actifs et dynamiques dans plusieurs pays différents.
 
Conférence PublisHer à Londres le 13 mars 2019- Photo PUBLISHER FLICKR


Quels sont vos projet futurs ?
 
Il y a beaucoup de choses que j'aimerais faire. Par exemple, le mentorat féminin qui devra être développé davantage, une fois que nous obtiendrons les résultats du programme pilote. Ainsi, on pourra accroître le mentorat, mais aussi pour encourager et permettre aux maisons d'édition de mettre en œuvre leurs propres programmes de manière positive. À cela s'ajoute l'idée des stages. J'aimerais que PublisHer puisse soutenir les jeunes femmes qui débutent en leur donnant la chance d'avoir une expérience dans l'édition, qui peut-être difficile ou impossible à réaliser.

Je veux faire évoluer PublisHer vers une organisation plus structurée qui apporte une valeur tangible aux femmes dans l'édition en leur proposant des solutions pratiques aux défis qu'elles rencontrent dans leur vie professionnelle. Cela implique de rester à l'écoute du réseau et de proposer des réponses qui correspondent aux besoins réels. On a peut-être deux ans, mais ce n'est vraiment que le début. Et je suis toujours optimiste quant à notre capacité à accompagner les changements nécessaires.

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