Avant-portrait

Il a fière allure avec ses boots, sa veste cintrée, ses cheveux en arrière. Dans un bureau de son éditeur, Bertrand Belin a pris place devant une photographie d’Edouard Levé, un verre d’eau à la main. Jusqu’ici, on connaissait et on aimait le chanteur, compositeur et interprète. Celui d’Hypernuit, de Parcs.

Des albums, usés jusqu’à la corde, vers lesquels on revient immanquablement avec un envoûtement intact. Belin, le voilà chez P.O.L, où il a envoyé son texte sur les judicieux conseils de son ami Eric Reinhardt. On retrouve dans Requin le côté lancinant de ses chansons.

Drogué à l’écriture

Le narrateur est un type pour qui ce n’est pas simple. Un homme, dans le milieu de l’âge, qui a longtemps tenu la vie à distance tout en s’évertuant à rester vivant. Un féru de préhistoire, occupé à se noyer en slip de bain Go Sport dans le contre-réservoir de Grosbois, un lac artificiel aux environs de Dijon.

Ce lieu, Bertrand Belin l’a découvert grâce au musicien Bastien Lallemant, et s’y est baigné lui aussi, comme il le raconte d’un timbre posé. Peu avant, il a confié être né en Bretagne, sur la route de la clinique. Il a grandi au sein d’une famille de cinq enfants, dans un immeuble HLM à Quiberon. Une presqu’île, une "zone intermédiaire", où il guettait l’arrivée des touristes l’été. La musique l’a toujours intéressé. Dès l’âge de 5 ou 7 ans, la guitare le fascinait.

Sur Europe 1, Balavoine parle de "vertu" dans Le chanteur, ce qui l’intrigue et le dérange. A l’époque, il s’immerge dans les vingt et un volumes reliés en skaï de Tout l’univers. La littérature arrive plus tard, avec Sur la route de Kerouac, Ginsberg et Burroughs. Dès 1986, il monte sur scène. Avec son frère, ils jouent des standards du rock’n’roll des années 1950 au Printemps de Bourges. Leur groupe d’alors s’appelle Les Démons. "Ça jette !" ironise-t-il. A 18 ans, il débarque à Paris avec une fiancée et un BEP d’électricien. Il reprend des études le soir, vend des fruits et légumes la journée, joue du banjo à cinq cordes, s’essaye au folk, au cajun, au blues du delta. Avant de creuser une voie bien à lui.

Ecrire des chansons, il le fait depuis ses 15 ans. Avant Requin, il a beaucoup noirci de pages, les abandonnant ou les perdant parfois. Là, le texte s’est "produit" comme "une mer de vinaigre". Drogué à l’écriture, il a avancé sans plan de travail. Récemment, ce fin lecteur a plongé dans l’univers du regretté Pierre Autin-Grenier, sidéré par la "profondeur abyssale" de son humour. Il goûte aussi la prose à la "virtuosité vertigineuse" de Jean Echenoz, raffole de L’élève d’Henry James qui le laisse sans voix, de L’inconsolé de Kazuo Ishiguro. Et peut citer de mémoire des mots de Jean Follain.

Alexandre Fillon

 

Requin, de Bertrand Belin, P.O.L. Prix : 14 euros, 182 p. ISBN : 978-2-8180-3571-9. Sortie : le 5 mars.

Les dernières
actualités