Il y a des auteurs qui ne perdent rien pour attendre, dont la voix est si forte qu’elle finira nécessairement par se faire entendre. La Canadienne francophone Catherine Mavrikakis est de ceux-là. Depuis qu’avec Le ciel de Bay City en 2009 (puis, trois ans plus tard, avec le tout aussi impressionnant Les derniers jours de Smokey Nelson), Sabine Wespieser a permis aux lecteurs français de découvrir son univers impressionnant de puissance romanesque, il ne fait guère de doute que ses livres, l’écho profond qu’ils suscitent, prendront la place qu’ils méritent, l’une des plus éminentes parmi celles venues "des" Amériques.
La ballade d’Ali Baba devrait être le livre de l’éclatante confirmation. On songe en lisant ce portrait d’un père "exagéré", lourd de chagrin, de tendresse, de mélancolie et d’humiliation, à ce mot de Dolto voulant que "lorsqu’un enfant pour la première fois dit papa, c’est son premier acte d’énonciation culturelle". Erina, la narratrice du livre, qui semble très proche de son auteur, a eu un père. Elle ne sait qu’en faire même si rien, peut-être, dans sa vie, n’aura revêtu plus d’importance. Il faut dire que Vassili Papadopoulos était un drôle de zigue, un enfant du siècle qui en épouse les horizons lointains comme les renoncements. Il est né grec, s’est révélé à Alger, a fait l’intéressant à New York, avant de souffler et d’expirer du côté de Montréal. Il est odieux et, bien entendu, c’est le charme même. C’est un joueur, qui ne fait jamais sauter la banque, mais épuise le regard éperdu d’amour que posent sur lui, sur ses voitures, ses mensonges, ses femmes qui ne sont pas la sienne, ses filles, qui n’auront pas assez d’une vie pour l’attendre.
Mavrikakis dresse le portrait d’un homme, héros cassavettien, qui ignore qu’il est en colère, dans une langue plus sourdement lyrique que d’habitude tout en bousculant la chronologie, le triste enchaînement des causes et des circonstances. On comprend qu’un père pareil n’est pas une malédiction, mais une grâce. Il n’aura rien appris à sa fille. Pas même à vieillir.
O. M.