Dans un parcours comme celui de Donatella Caprioglio, le hasard n'existe pas. Juste de la cohérence, même si elle-même avoue "avoir tardé à la discerner". Il lui aura fallu pour cela une analyse et plusieurs livres, dont le nouveau, Au coeur des maisons. "La maison, c'est le symbole de tout, une métaphore de l'individu. Et moi, dans mon travail, j'essaie d'ouvrir des portes et des fenêtres, d'enlever des cloisons sans faire s'écrouler les fondations. »

Donatella Caprioglio est née en 1954 dans une grande famille piémontaise, où l'on était bâtisseur de père en fils. "Mes grands-pères étaient tous deux architectes, entrepreneurs." Une famille bourgeoise, éclairée, mais très traditionnelle, qu'elle a évoquée dans son livre précédent, Va-t'en mais reste encore, paru en 2007 chez Hachette Littératures. "Chez nous, les filles se mariaient, faisaient des enfants, et restaient à la maison. Au mieux, elles aidaient dans l'entreprise, à la gestion, par exemple." Son père aurait voulu qu'elle étudie le droit. Mais la jeune fille, qui vit alors sa famille comme "une prison intellectuelle", fait l'école buissonnière. Comme les Caprioglio ont des chantiers à Mestre, le port industriel de Venise, elle explore les calle de la Sérénissime. "Parce que j'avais, déjà, besoin de la beauté comme thérapie." Elle y croise même un drôle de bonhomme, dont elle apprendra plus tard qu'il s'agissait d'Ezra Pound. Longtemps elle vivra à Venise, avant de s'installer à Paris, au Quartier latin, "une vraie ville vivante, et non pas un musée à ciel ouvert pour les touristes".

Entre-temps, Donatella Caprioglio a choisi de suivre des études de psychologie et a créé, à Mestre, en 1993, sa première Porta Verde, une idée tout à fait inédite à l'époque en Italie, et même ailleurs. "C'est un lieu d'accueil et d'écoute, pour les parents de tout jeunes enfants qui subissent des troubles psychologiques, un mal-être. Il faut savoir que, chez l'être humain, l'identité se structure entre 0 et 3 ans. Si son entrée dans le monde se passe mal, l'enfant ne peut que mal l'habiter." La psychologue connaît le problème, elle l'a vécu. Alors qu'elle préparait Au coeur des maisons, elle a retrouvé par hasard une lettre adressée à sa mère, dès sa naissance, par une amie qui écrivait : "La cigogne n'a pas obéi à la perfection à la commande paternelle. Néanmoins, je pense que vous êtes tout de même heureux. » Le fils, cet héritier si ardemment désiré, naîtra six ans plus tard. Mais le poids considérable qu'il a senti peser sur ses épaules en a fait un être fragile, souffrant de troubles psychologiques graves.

Comme ses ancêtres

Après avoir créé six Porta Verde en Italie, Donatella Caprioglio a pris un peu de champ. Et c'est sa propre fille, Olivia, 30 ans, qui a repris le flambeau. "Au terme, après mon divorce, d'une adolescence difficile, conflictuelle, que j'évoque dans Va-t'en mais reste encore, c'est elle, sans que je le lui demande, qui a souhaité prendre ma succession. Cela m'a bien sûr beaucoup émue." Donatella Caprioglio, elle, se consacre à la "psychologie sociale", telle qu'elle l'a étudiée auprès de Serge Lebovici à Paris-13 Bobigny, où elle intervient encore. Elle anime des cafés où elle est "la tierce personne qui permet aux gens de parler". "Le Café a été inventé à Venise, rappelle-t-elle, au Florian, place Saint-Marc. Un lieu de parole et de liberté où l'on pouvait lire le premier journal, La Gazzetta." Elle intervient aussi partout, au Vietnam, au Cameroun, pour écouter les parents de jeunes enfants en déshérence, mais aussi former les éducatrices de crèche, les infirmières spécialisées, souvent démunies devant la souffrance de leurs patients.

Donatella Caprioglio est une pérégrine. Elle a souvent déménagé. Elle voyage beaucoup. Mais, il y a dix ans, elle est tombée folle amoureuse d'une maison en ruine dans un petit village des Pouilles. Et s'est lancée dans la consolidation des fondations, dans la reconstruction des murs. "Finalement, vous voyez, je fais le même travail que mes ancêtres !" Mais elle le fait libre, de son plein gré. Comme elle cultive son jardin de ses mains : "Parce que la terre, c'est la mère, et que le contact mère-enfant est fondamental, surtout quand on ne l'a pas assez reçu dans son enfance. »

Son prochain livre, elle y travaille déjà, aura pour thème... la transmission. Mais, pour l'instant, autre chose la préoccupe : "Si je reste à Paris quelques jours de trop, je vais rater mes iris en fleurs. La renaissance de la nature au printemps. Et ça, c'est grave ! »

Au coeur des maisons de Donatella Caprioglio, traduit de l'italien par Sibylle Tibertelli, Fayard, 280 p., 18 euros, tirage : 3 500 ex., ISBN : 978-2-213-65509-3.

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