Rentrée hiver 2019

Lorsqu'un étranger a tendance à adopter leurs us et coutumes, à vivre comme eux pour le meilleur et pour le pire, les Cubains désignent cela d'un joli mot : aplatanarse, «  se bananiser ». C'est exactement ce qu'a vécu Jean-Yves Martinez, à La Havane, de 1986 à 2001.

D'abord, à 25 ans, en tant que volontaire du service national actif, co-opérant à l'ambassade de France à Cuba. « Grâce à mon père, pied-noir originaire d'Almeria, je parlais espagnol », précise-t-il. Et il avait fait quelques études. Ensuite, viennent ses folles années. Il se retrouve bombardé attaché culturel adjoint chargé de la diffusion du français, au contact de la population : havanes, mojitos, salsa... Il se marie même avec une danseuse étoile cubaine. Ils ont une fille.

Toléré par le pouvoir

Mais son contrat de diplomate s'achève, et le voici désormais simple « résident permanent », prof de français pour vivre, ainsi que correspondant « clandestin », « pas accrédité mais toléré par le pouvoir castriste », pour différents médias occidentaux : Le Point, Libération, RFI, El País ou L'amateur de cigare, le magazine créé par Jean-Paul Kauffmann. « C'était un peu ma couverture, dit-il, et j'avais douze pseudonymes ! »

En 2001, tout bascule. « Il ne m'était plus possible d'écrire en "clandestin", j'arrivais au bout de mon histoire, de ma résistance. Et, après toutes ces années dans un pays totalitaire avec du soleil, j'avais besoin de retrouver des saisons, de la liberté, et d'écrire. » A quoi s'ajoutent une rupture amoureuse et un divorce.

« Vraie Cuba »

Jean-Yves Martinez rentre alors en France pour la scolarité de sa fille, s'installe dans le Sud, à cause de son « tropisme méditerranéen » et, au bout de deux ans de retraite dans la Drôme, afin de « (se) reconstruire », se lance dans l'écriture d'un premier roman (noir), La femme havane, qui se situe dans les «  bas-fonds » de cette « vraie Cuba » assez peu connue à l'époque. Jean-Paul Kauffmann le recommande à son éditeur et ami Olivier Frébourg, lequel le publie aux Equateurs, avec un certain succès. L'auteur récidive en 2008 avec Le fruit de nos entrailles, chez le même éditeur, un « polar marseillais ». Cette fois, c'est un échec, qu'il prend « plutôt mal », même s'il prétend qu'il peut vivre sans écrire. Enseigner la littérature française à ses étudiants d'une école chic et bilingue d'Aix-en-Provence lui suffirait.

Pas si sûr : le voici de retour, dix ans après, avec Les enchaînés, un autre roman (noir) qui mêle son expérience drômoise, l'Afrique, l'Espagne, le problème des migrants, porté par un personnage littéraire, un métis, dont il a mis toutes ces années à accoucher, librement inspiré d'un torcedor dominicain venu travailler en France parce qu'il avait cru au rêve européen. Cette fois, Jean-Yves Martinez a envoyé son manuscrit à plusieurs éditeurs, et c'est Gwenaëlle Denoyers, éditrice dans la collection « Cadre noir », au Seuil, qui a été la première à réagir, et à proposer à l'auteur, aux anges, de travailler avec lui sur son texte.

Rien de cubain, en revanche, dans ces Enchaînés, et pas de cocktail de lancement tropical : l'auteur ne boit plus, ne fume même plus le havane. Débananisé.

Jean-Yves Martinez
Les enchaînés
Seuil
Tirage: 4 200 ex.
Prix: 17 euros
ISBN: 9782021409239

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