Essai/Liban-France 20 mars Amin Maalouf

C'est à une réflexion affligée et un constat accablant sur l'état du monde contemporain que s'est livré l'académicien Amin Maalouf, en partant de sa propre histoire familiale, laquelle peut incarner le parfait exemple de ce qu'était autrefois le Proche-Orient. Ce Levant où il est né, à Beyrouth, en février 1949, où il a pas mal bougé, entre l'Egypte de la famille de sa mère, maronite, et le Liban de son père, grec catholique. Des gens de la moyenne bourgeoisie, cosmopolites et polyglottes, membres de minorités religieuses dans des pays à majorité musulmane, mais cela ne posait à l'époque aucun problème, tout au contraire. Le Caire, Alexandrie, Damas, Beyrouth étaient des métropoles riches de leur diversité, avec une vie culturelle intense, une harmonie entre les communautés, et un désir, pour les élites, d'importer dans leurs pays un certain nombre de valeurs occidentales : démocratie, laïcité, respect des droits de l'homme. L'image peut paraître idyllique, mais elle est attestée par tous les témoins de l'époque, lesquels étaient en général des bourgeois, des intellectuels, des privilégiés en tout cas, pas le fellah anonyme de la Moyenne-Egypte qui cultivait ses champs de lentilles.

Alors, qu'est-ce qui a changé, faisant basculer le Proche- Orient dans un chaos infernal ? Guerres, terrorisme, persécutions des minorités, hyperconfessionnalisme, dictature ou gabegie politique, laquelle a des répercussions sismiques sur tout le reste du monde, en proie aux mêmes maux, plus ou moins prononcés suivant les continents et les pays : l'Europe, les Etats-Unis et l'Afrique sont les premières cibles, la Russie un peu moins, une partie de l'Asie, l'Amérique latine, l'Australie relativement à l'abri pour l'instant.

Pour Amin Maalouf, la descente aux enfers du Proche-Orient, qui a contaminé la planète, remonte à 1952, lorsque Nasser a réussi son coup d'Etat, phare du monde arabe se transformant en dictateur, et signant d'un trait de plume l'expulsion de tous les étrangers d'Egypte, en 1956. Il y eut ensuite, toujours selon lui, ce que les Occidentaux appellent « la guerre des Six-Jours », en 1967, humiliation terrible pour le monde arabe, mais qui n'eut pas non plus, pour Israël, que des effets positifs. Enfin, la création de la République islamiste d'Iran, avec ses mollahs chiites rigoristes, l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques, l'assaut contre La Mecque, firent de 1979 une troisième année noire, avec l'irruption, sur la scène internationale, de l'islamisme radical et traditionaliste, rêvant de soumettre le monde entier à sa foi, à sa loi, celle de la charia. On connaît la suite, hélas. S'il avait voulu être exhaustif, Amin Maalouf aurait même pu remonter jusqu'en 1916, avec les honteux accords Sykes-Picot, où les Anglais et les Français se sont partagé le Proche-Orient de façon arbitraire et inique, en dépeçant l'Empire ottoman vaincu.

Cela nous donne à la fois un essai terrible, qui n'est pas sans rappeler le George Orwell de 1984, sauf que ce n'est plus de l'anticipation. Un cours magistral et vivant sur une histoire assez mal connue des Français, et aussi un récit plein de charme, lorsque le très pudique Amin Maalouf consent à évoquer la saga de sa famille. Qui fut autrefois si heureuse dans son Levant.

Amin Maalouf
Le naufrage des civilisations
Grasset
Tirage: 36 000 ex.
Prix: 22 euros ; 336 p.
ISBN: 978 2246 852179

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