Métiers du livre

Auteur-éditeur-agent : ce délicat ménage à trois

Roxane Edouard, de l'agence Curtis Brown. - Photo DR

Auteur-éditeur-agent : ce délicat ménage à trois

Si les agents littéraires ont définitivement trouvé leur place dans la chaîne du livre, il arrive que le passage de duo à trio bouscule la relation auteur-éditeur, et la confiance entre les parties.

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Par Marine Durand,
Créé le 06.10.2021 à 13h25

Pour parler de son agent et de son éditeur, une autrice, qui a récemment choisi de se faire représenter, convoque la métaphore amoureuse : « On passe d'un duo à un trio. C'est comme quand un couple accueille son premier enfant : il faut que chacun retrouve sa place. » Cette romancière raconte d'ailleurs comment elle a été blacklistée par l'un de ses éditeurs après avoir pris un agent, jusqu'à annuler le troisième tome d'une série en cours, après quinze mois passés « à poireauter ».

Marie Pavlenko : « Quand on pense, avec Roxane Edouard, que le texte est prêt, je l'envoie à mon éditrice chez Flammarion et un nouveau travail en binôme commence. »- Photo DR

À en croire les différents professionnels contactés pour cette enquête, ce type de réaction est aujourd'hui rarissime, et l'image de l'agent menaçant, prêt à fondre sur les auteurs les plus bankables pour faire exploser les à-valoir, a fait long feu. « Nos relations sont très bonnes avec les éditeurs. Si tous les acteurs sont adultes, cela donne un rapport de travail fructueux, car on décrypte le monde de l'édition pour l'auteur et on désamorce certaines incompréhensions », soulignent Claire Nozières et Roxane Edouard, de l'agence londonienne Curtis Brown. Geoffrey Le Guilcher, cofondateur des éditions Goutte d'Or et représenté en tant qu'auteur par Marie Lannurien au sein de BAM, reconnaît même un « manque criant d'agents en France », dont il aimerait recevoir davantage de romans. Pourtant, invités à s'asseoir à la même table pour présenter plus en détail cette relation tripartite, les interlocuteurs sollicités, en particuliers les éditeurs, déclinent poliment.

« Je vous envoie l'avocat »

De l'avis général, l'agent est aujourd'hui accueilli à bras ouverts dans la chaîne du livre en tant qu'apporteur de (bons) projets. Mais lorsqu'il s'agit de s'insérer dans un binôme auteur-éditeur déjà formé, le sentiment de trahison n'est pas loin. "Il peut y avoir un petit côté "je vous envoie l'avocat"" note une directrice de droits. L'agent Berlinois Michael Gaeb, passé par Grasset, se fait plus cash. « Certains agents sont très agressifs, et n'ont pas de considération pour l'éditeur, et certains éditeurs maudissent les agents. »

En coulisses, on pointe aussi le manque de professionnalisme d'une partie de ces nouveaux arrivants. Mais pas question de râler ouvertement : il ne faudrait pas se griller pour de futures collaborations... Et il reste la question des droits audiovisuels et cessions poche, parfois déterminants dans le modèle économique d'une maison. Le même Geoffrey Le Guilcher refusera ainsi de signer, chez Goutte d'or, un auteur qui ne lui cède pas ses droits dérivés. Alors, comment gérer, au sein du trio, la méfiance de l'un, les revendications de l'autre, le travail sur le texte avec différents relecteurs ? Magalie Delobelle, qui a fondé So Far So Good en 2014, a appris à « ne pas s'imposer dans la relation auteur-éditeur, à s'éloigner quand il le faut », notamment pendant la promotion du livre en France. Lorsque l'autrice Marie Pavlenko rédige un manuscrit, elle veille à séparer les phases de travail. « Quand on pense, avec Roxane Edouard, que le texte est prêt, je l'envoie à mon éditrice chez Flammarion et un nouveau travail en binôme commence », décrit-elle.

Outre la question de la confiance, les crispations surviennent parfois quand la discussion arrive sur le terrain de l'argent. Mais « on peut être ferme dans les négociations sans systématiquement déclencher des batailles », assure Laurence Laluyaux, de l'agence britannique RCW. Cette normalisation des relations devrait conduire les éditeurs à une plus grande proximité avec les agents. Ils n'ont déjà plus vraiment le choix.

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