Qui sera le nouveau Lupin ? Un an après que le gentleman cambrioleur de Maurice Leblanc a explosé les compteurs sur Netflix, les adaptations françaises se bousculent. Tandis que Virginie Efira et Romain Duris ont fait swinguer le box-office de janvier dans En attendant Bojangles (Olivier Bourdeaut, Finitude), Bruno et Michel, les demi-frères des Particules élémentaires de Michel Houellebecq, débarquent sur France 2 dans une mini-série de deux épisodes, TF1 programme au printemps Le syndrome E, adapté du polar de Franck Thilliez, et Jules Verne régnera sur les écrans avec plusieurs adaptations simultanées, dont Nautilus, inspiré de 20 000 lieues sous les mers, pour Disney +.
Un boom des options
Petit et grand écrans sont toujours allés puiser des histoires dans les livres. Mais le mouvement s'est considérablement accéléré sur le format série ces dernières années. « Sur dix contrats d'options que nous signons, je dirais que neuf concernent l'audiovisuel, et une seule le cinéma », observe Alexandra Buchman, directrice des droits audiovisuels d'Editis, qui a créé en deux ans une base de droits audiovisuels, les rendez-vous en ligne « Du livre à l'écran », et même un « Studio des auteurs », pour accompagner financièrement les producteurs tentés par des adaptations. Selon une étude du cabinet NPA Conseil dévoilée en novembre pendant le festival Marseille Series Stories, 47 % des séries diffusées sur les plateformes de VOD entre septembre 2020 et juin 2021 étaient adaptées d'œuvres littéraires.
« Nous sommes dans un contexte où les plateformes de VOD sont en recherches constantes d'IP's (intellectual properties) », confirme Nathalie Piaskowski, directrice générale de la Société civile des éditeurs de langue française (Scelf), qui déploie cette année à Angoulême, le 16 mars, l'événement Shoot The Book !, des sessions de pitchs, par des éditeurs de BD et un marché des droits. « Les acteurs sur le marché se multiplient, la demande de contenus augmente, appuyée par le décret SMAD de juillet 2021, qui leur impose de financer des productions françaises. Et le confinement a joué un rôle : les tournages étant à l'arrêt, les producteurs ont eu davantage de temps pour lire, et pour se consacrer au développement des projets. » Résultat : déferlante de contrats d'options dans les services de cessions de droits.
Chez Fayard, Carole Saudejaud, responsable des droits étrangers et audiovisuels, constate une hausse de 50 % des options en 2020 et 2021, parmi lesquelles La vie mode d'emploi, de Georges Perec. Mêmes chiffres pour le groupe Editis, quand Média-Participations annonce 200 options en cours. Banquière dans le secteur de l'audiovisuel et du cinéma, Jeanne Le Scoul parle même d'une « course à l'échalote » entre les studios de production : « C'est à qui bloquera les droits le premier sur un titre fort. » « Ce qui les intéresse, c'est d'avoir accès très tôt aux histoires », note pour sa part Maÿlis Vauterin, qui vient de quitter les droits de Stock pour créer un bureau audiovisuel et littéraire avec un associé. Ce dynamisme est bienvenu pour les éditeurs : si l'activité du Bief (Bureau international de l'édition française), avec sa « French Week » en ligne ou la plateforme Books of France, a permis de sauver les meubles, le Covid a mis à mal les cessions de droits de traduction, qui se sont rétractées de 3,5 % en 2020. « Les cessions à l'étranger représentent pour mon service le plus gros chiffre d'affaires et le plus grand nombre de contrats, tempère Vibeke Madsen, responsable des droits de P.O.L. Mais j'élargis chaque année mon carnet d'adresses dans l'audiovisuel, avec des effets très positifs sur le nombre d'options. »
Beaucoup d'incertitudes
En plus de s'intensifier, les échanges se sont aussi internationalisés. Chez Nathan, où elle a décroché dix options cette année, Marie Dessaix, directrice des droits étrangers, négocie actuellement avec Netflix US et un producteur espagnol. Laurent Duvault, directeur du développement audiovisuel chez Média-Participations, cède près de 20 % de ses droits à des producteurs étrangers, et Flammarion annonce deux séries en développement pour des plateformes aux États-Unis, adaptées de La dictatrice, de Diane Ducret (FX productions) et de Belle Greene, d'Alexandra Lapierre (Gaumont USA).
Devant cette masse de manuscrits à fort potentiel, « le travail des scouts, littéraires et "book to film", est devenu encore plus essentiel », observe Carole Saudejaud. Laure et Nathalie Kniazeff, les fondatrices de la plateforme de scouting Best-Seller to Box-Office qui recense plus de 50 000 fiches livres destinées aux producteurs du monde entier, ont vu leurs abonnements augmenter. Mais ce sont surtout les missions de conseils qui ont explosé. « Quand ils nous fournissent des briefs, les producteurs attendent plus d'implication, il faut imaginer ce que pourrait être le passage à l'écran. »
Si l'intérêt des producteurs pour le format livre est indéniable, plusieurs professionnels de l'édition alertent tout de même sur l'incertitude entourant les contrats signés. « Il ne faut pas oublier qu'une majorité des projets sont abandonnés, or notre vrai chiffre d'affaires intervient au moment de la levée de l'option », relève Heidi Warneke, directrice des droits de Grasset, qui a notamment vu les demandes affluer pour La tresse, de Laetitia Colombani, ou l'essai La réparation volontaire, de Corinne Tanay. Le co-agent Phi-Anh Nguyen, fondateur de La Petite Agence, pointe aussi les interrogations du milieu devant des « sources de revenus toujours plus diverses », sachant que les adaptations peuvent changer plusieurs fois de formats, que les remontées de recettes seront différentes suivant une diffusion chaîne ou plateforme, et que les législations évoluent. « La gestion collective, c'est un revenu important pour les auteurs et éditeurs. On sait que Netflix a négocié avec la SACD, on ne sait pas combien, mais on se doute que les montants sont plus bas que pour les chaînes », déplore celui qui a signé l'un des plus gros deals de la jeunesse, en vendant les droits d'adaptation en animé de Mortelle Adèle (Bayard).
L'ère du transmédia
Les départements droits étrangers des maisons étant déjà professionnalisés, les services « diversification » tendent désormais à se structurer, à l'image de celui d'Auzou, créé par Adélaïde Quiblier il y a cinq ans, où l'on s'occupe aussi bien des licences - « une mallette de crayons Crayola, ou un pyjama Sergent Major à l'effigie de notre personnage Loup » - que de l'audiovisuel et du « new business », c'est-à-dire l'e-book et le livre audio. Ce dernier segment montre d'ailleurs un incroyable dynamisme, « +50 % entre 2020 et 2021 » chez Auzou comme chez d'autres éditeurs jeunesse, qui ont été portés par les cessions aux enceintes connectées pour enfants. Lunii, la pionnière, Merlin, née d'un partenariat Bayard et Radio France, Tonies, Yoto, Bookinou, la multiplication de ces lecteurs sans écran constitue une aubaine pour l'édition. Même si, là encore, le modèle économique est balbutiant : « Les enceintes proposent pour l'instant des packs de contenus. Va-t-on aller vers un modèle illimité à la Netflix ? », questionne Stéphanie Simonin, directrice du développement de Bayard, rappelant qu'elle vend aussi des droits audio à Audible, et que Bayam, l'application multimédia maison, produit ses propres contenus sonores.
Les maisons adultes sont elles aussi concernées par cet essor des exploitations audio. Surtout, les ponts toujours plus nombreux entre les formats - « depuis six mois, les producteurs de séries demandent aussi les droits pour une adaptation en podcast », affirme Alexandra Buchman - confirment l'avènement d'une ère transmédia.
Créée en 2021 par Roxane Rouas-Rafowicz et Jacques Aragones, la société de production StudioFact, à l'ADN plutôt journalistique, vient de lancer une maison d'édition dirigée par Clarisse Cohen, dont le premier titre est une enquête sur l'affaire Jubillar, signée du grand reporter au Parisien Ronan Folgoas. « Docu, magazine, reportage, fiction, podcast ou livre, nous pensons que les bonnes histoires du réel s'enrichissent de leurs différents formats », détaille la cofondatrice, considérant presque comme un échec un contenu n'ayant qu'une seule exploitation. Le producteur Ivan Sadik, recruté à l'automne comme directeur général de la fiction, a déjà lancé le développement de plusieurs ouvrages, dont La mythomane du Bataclan d'Alexandre Kauffman (Goutte d'or). Dans la même logique un-livre-est-un-film-est-un-podcast-est-un-documentaire, Hachette Livre a annoncé mi-décembre la création d'une Direction du développement et de l'innovation, chargée d'identifier de nouvelles opportunités de croissance. Et parce que l'on est jamais mieux adapté que par soi-même, plusieurs éditeurs ont déjà franchi le cap. Goutte d'Or coproduit désormais une majorité de ses adaptations via Goutte d'Or Productions, Guillaume Allary envisage d'intensifier les liens entre Allary et sa société de production, Hauteville, quand Fayard, avec sa filiale Fayard Factory créée en 2020, souhaite assurer la coproduction déléguée de ses adaptations.