Des goûts et des couleurs on ne discute pas, dit l’adage, et c’est tout le contraire que s’évertue à faire Frédérique Toudoire-Surlapierre dans Colorado, un essai sur la manière dont la gamme chromatique se déploie à travers l’art, la littérature ou le cinéma. La professeure de littérature comparée à l’Université de Haute-Alsace n’oublie pas non plus le blanc et le noir : eux aussi ont voix au chapitre dans cette saga chamarrée. "Blanc souci" mallarméen traduisant la page vierge grosse de tous les possibles, "noir soleil" de la mélancolie pour Nerval. Le blanc, c’est le vide comme la pureté, le noir le malheur et la nuit.
Du Nuage rouge de l’abstrait Piet Mondrian à Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, où le protagoniste Ferdinand joué par Belmondo s’est grimé le visage en bleu, en passant par Moby Dick de Melville et Achab à la poursuite de la baleine blanche, on parlera ici de couleurs et forcément de goûts. Au pays du Roi-Soleil on aime le jaune sous sa forme dorée, en Angleterre il se portera sous son aspect mat. Le rouge outre-Atlantique, c’est la sauvagerie de la frontière : les Peaux-Rouges.
La couleur est-elle une essence qui définit l’objet ou une qualité qui s’y ajoute ? La couleur a en vérité un statut ambigu : elle est "un artefact qui se voit et […] empêche de voir en dessous", "comme une forme recouvrant un fond" et, dans le même temps, "elle n’est pas seulement une apparence, elle est une forme qui peut dévoiler une intériorité". Ressenti, sensation, vision… Voyelles de Rimbaud faisant correspondre la palette vocalique à celle des couleurs, synesthésie de Proust, chromatisme de Baudelaire, si la couleur est l’apanage de la peinture et de "l’image-mouvement", elle est surtout affaire de mots et de littérature. Aussi n’est-ce pas là l’éternel débat nature versus culture ? "Parure, paravent ou voile, la couleur dit notre préférence pour la forme plutôt que pour le fond, elle exprime notre besoin de recouvrir esthétiquement les choses. L’artifice peut paraître dérisoire […] : il s’agit de les rendre plus belles." Sean J. Rose
