Voici deux ouvrages accessibles, originaux et complémentaires. Guillaume Carnino raconte la science comme une invention sociale, économique et politique, tandis que Françoise Waquet explique comment travaillent les savants. Ingénieur, informaticien et historien, Guillaume Carnino a publié à L’Echappée des ouvrages sur la Tyrannie technologique (2007) ou sur les Luddites en France (2010), ces briseurs de machines qui refusaient de faire le deuil de leur savoir-faire au XIXe siècle. Il y a également préfacé L’histoire populaire des sciences de Clifford D. Conner (repris chez Point, "Sciences", 2014) qui exposait les débuts de la technoscience. C’est ce regard original que l’on retrouve dans L’invention de la science. Carnino explique comment au XIXe siècle, en statufiant des personnages comme Galilée en anticlérical ou Pasteur en défenseur de la science pure - donc soi-disant neutre -, en vulgarisant le savoir et en tirant même des romans avec Jules Verne, la science s’est intimement liée à l’industrie et à l’économie. Et avec eux, bien sûr, ceux que l’on ne nomme plus savants, mais scientifiques.
C’est à eux que s’est intéressée Françoise Waquet. Archiviste-paléographe et directrice de recherche au CNRS, elle explore les modes de transmission du savoir (Les enfants de Socrate, Albin Michel, 2008). Du XVIe siècle - période où la science flirtait encore avec la philosophie et la théologie - à nos jours, elle observe comment travaillent les savants. Sur cinq siècles, elle s’intéresse à leur outillage (livres, documents, ordinateurs, etc.) et à leur corps qui joue un rôle essentiel dans la découverte. Elle rapporte les gestes précis, l’écoute et le regard, notamment chez les médecins et les chirurgiens. Il y a de l’artisanat dans leur pratique jusqu’au XIXe siècle. Elle s’intéresse aussi à la communication des travaux, à ses codes, au rôle des fiches et des petits papiers chez les anthropologues et les historiens. Car elle intègre dans son étude les sciences dites humaines - comme si les autres ne l’étaient pas… Bref, elle s’emploie à montrer ce qu’on ne voit pas pour saisir comment fonctionne la tête du chercheur.
Ces deux ouvrages abordent la science non pas comme destination du savoir, mais comme point de départ. Ils répondent, chacun à sa manière, non pas à la question épistémologique "qu’est-ce que la science ?" mais "pourquoi la science ?". Pour expliquer la manière dont elle se fait et comment elle se transmet. L. L.