Livres Hebdo : Les Nouveaux Éditeurs viennent d’annoncer l’entrée à leur capital d’Artémis, la holding de la famille Pinault. Comment le rapprochement s’est-il opéré ?
Arnaud Nourry : Par l’entremise de Guillaume Cerruti, patron de Christie’s qui appartient à Artémis et que je connais depuis des années, j’ai rencontré François Pinault à qui j’ai fait part du projet LNE et qui a très vite montré une adhésion forte au projet. J’avais sondé beaucoup de confrères de l’édition avant le lancement de LNE, sans que cela aboutisse à des engagements de leur part, car le côté disruptif était sans doute compliqué à appréhender. C’est pour cette raison que nous avons dans un premier temps lancé LNE avec le noyau d’investisseurs qui m’ont fait confiance, et que nous sommes aujourd’hui rejoints par Artémis. Je n’étais pas en recherche d’un partenaire financier, j’avais seulement indiqué que la question d’un financement se poserait au bout de deux ans. Nous avons saisi l’occasion.
L’arrivée d’Artémis se traduit-elle par une augmentation du budget de LNE ? En juin dernier vous disiez disposer de 5 à 10 millions d’euros...
En juin j’avais donné une fourchette qui correspondait au financement par les investisseurs et au financement bancaire sous forme d’escomptes. Ce n’était pas simplement du capital. Il n’est pas prévu de communiquer des détails sur l’investissement, mais je peux dire que la famille Pinault devient un actionnaire important des Nouveaux Éditeurs. La holding des fondateurs LNE reste majoritaire, et au sein de cette holding, la famille Nourry – mon fils Ugo et moi-même – est majoritaire. L’important est que nous sommes bien financés et que nous avons les moyens de développer notre projet. Artémis va nous permettre d’être plus tranquille, plus solide, peut-être d’aller plus vite et plus loin.
« J’ai ouvert la porte à des gens talentueux, j’ai écouté leurs envies et leurs projets »
Hormis Tallandier, Artémis n’était pas présent dans le monde de l’édition. Cela a-t-il été un critère pour vous ?
Ce n’était pas un critère particulier. Mais il est vrai qu’il est sans doute plus compliqué pour une personne déjà très investie dans l’édition de prendre une part active à un projet qui à certains égards est orthogonal.
La Tribu de Julia Pavlowitch vient de publier ses premiers titres et vous avez annoncé la création de Maison Pop par Virginie Fuertes et Damien Naddeo. À quoi faut-il s’attendre dans les prochains mois ?
Nous sommes très heureux du démarrage de La Tribu, tandis que Maison Pop publiera ses premiers titres avant l’été. Aujourd’hui nous comptons un total de huit maisons d’édition au sein de LNE dont six qui sont encore confidentielles. Nous les annoncerons progressivement au cours des prochains mois : deux proposeront de la littérature générale, une autre sera spécialisée en non-fiction et sera annoncée après l’été. Suivront une maison de documents/société et non-fiction à la fin de l’année puis une maison spécialisée en jeunesse et une autre en BD, mangas et romans graphiques.
Comment avez-vous sélectionné ces éditeurs ?
J’ai ouvert la porte à des gens talentueux, j’ai écouté leurs envies et leurs projets. J’en ai retenu certains et d’autres non. La décision s’est faite sur l’adhésion à la dimension sociétale, à la liberté d’édition, d’expression, sur la qualité du projet, sur l’expérience et l’envie.
Y a-t-il beaucoup de primo-entrepreneurs parmi les profils retenus ?
Oui, pratiquement tous, à part une éditrice qui avait déjà créé une entreprise. J’ajoute que nous n’accompagnons que des projets de création. L’objet de LNE n’est pas de racheter des structures existantes, même si je ne dis pas que je ne le ferai jamais. Nous accueillons des gens tentés par l’aventure, mais à qui je ne demande qu’une prise de risque modérée car nous apportons la diffusion/distribution, un accompagnement logistique et humain ainsi que la transmission de notre savoir-faire.
« Ceux qui nous rejoignent s’engagent à rester au moins sept ans, période au terme de laquelle LNE s’engage de son côté à racheter leurs parts à ceux qui le souhaitent »
Vous privilégiez aussi les profils d’éditeurs arrivés à mi-carrière...
Je veux embarquer des gens en les rémunérant au niveau qui était le leur auparavant, en leur donnant une participation au capital et en leur offrant une sécurité sur la manière dont ils vendront leurs actions. Mais pas tout de suite, car il faut que leur maison s’installe et soit capable de gérer un plan de succession. Ceux qui nous rejoignent s’engagent à rester au moins sept ans, période au terme de laquelle LNE s’engage de son côté à racheter leurs parts à ceux qui le souhaitent. Mon projet n’est donc pas d’embarquer des têtes d’affiche de 60 ans, mais plutôt une génération d’éditeurs qui a entre 40 et 50 ans – un peu plus ou un peu moins –, qui a déjà fait la preuve de son talent et qui dispose d’une écurie d’auteurs au niveau de vente intéressant, même si ce ne sont pas des superstars. Ils sont conscients de porter quelque chose mais n’ont pas les moyens de monter leur structure, de payer de gros à-valoir à des auteurs qui montent et n'ont pas accès à un bon diffuseur/distributeur. A contrario je ne cible pas non plus les jeunes de 30 ans. Par définition, ils n’ont pas encore prouvé leur valeur et surtout ils ont moins besoin qu’on les aide. Quand vous démarrez, vos auteurs sont peu connus et leurs à-valoir sont modestes.
Quel est le nombre maximum de maisons que vous pouvez accueillir compte tenu des moyens dont vous disposez ?
Je ne me fixe pas de limite car ce serait faire de l’édition au kilo. Le nombre de maisons n’est pas un indicateur dans mon esprit, même si avec huit maisons nous avons déjà un programme copieux. Ce qui m’intéresse est d’avoir le plus de diversité possible avec des maisons un peu complémentaires, et que le succès des unes nourrisse celui des autres. L’enjeu à court terme est de trouver de nouveaux locaux car nous n’avons que 70 m2 dans nos bureaux de la rue Séguier.
Le partenariat avec Flammarion pour la diffusion/distribution apparaît comme un atout majeur pour LNE. Quelle forme prend-il ?
La décision ne s’est pas tant faite sur la partie financière que sur une sorte d’affectio societatis. J’ai été vite convaincu par la diffusion/distribution Flammarion, séparée de Gallimard et à taille humaine, avec un vrai appétit chez les équipes commerciales tandis que c’est Gallimard qui s’occupe de la fabrication. J’ajoute que Madrigall n’a aucune participation capitalistique dans LNE. Il y a entre nous un contrat qu’on espère renouveler à son terme.
Vous avez aussi noué un partenariat avec l’Américain Simon & Schuster...
Le principe est d’organiser une convention annuelle à l’occasion d’une foire ou d’un voyage à New York pour échanger sur les innovations des uns et des autres. Il y a l’IA bien sûr, mais aussi le marketing digital, les campagnes marketing... Notre accord prévoit également un droit de préférence croisé pour nos titres respectifs. Je vais à ce titre rencontrer Jonathan Karp, le patron de Simon & Schuster, à la prochaine foire de Londres pour lui présenter une série de titres.
« Nous allons proposer des contrats plus courts. Aujourd’hui le contrat standard court 70 ans après la mort de l’auteur »
Rejoindre LNE suppose aussi un certain nombre d’engagements, notamment dans le cadre de la relation avec les auteurs...
Les maisons d’édition de LNE sont des structures juridiques autonomes et indépendantes dont les statuts garantissent la liberté sur le plan de l’édition. En revanche il est vrai que j’ai fait part de mon envie d’innover sur les relations avec les auteurs en fixant un cadre commun de contrat qui sera le même pour tout le monde. Cela traduit une volonté de transparence, mais aussi d’instaurer un esprit commun avec des maisons d’édition qui accompagnent les auteurs et non pas des imprints interchangeables.
Quel cadre ce contrat commun d’édition prévoit-il ?
Nous allons proposer des contrats plus courts. Aujourd’hui le contrat standard court 70 ans après la mort de l’auteur. Cela veut dire qu’on signe en moyenne des contrats pour un siècle, et cela ne sert à rien. Évidemment nous ne renonçons pas à l’idée d’avoir un fonds. Nous renonçons seulement à bloquer les auteurs et nous nous obligeons à garder une qualité de services suffisante pour les convaincre de resigner périodiquement avec nous.
Le Code de la propriété intellectuelle fixe un cadre auquel le contrat peut déroger par disposition contraire. En pratique, les éditeurs y dérogent pour les traductions car c’est le droit du pays d’origine qui s’applique. Et si tous les grands auteurs français bénéficient aussi de ces clauses dérogatoires, ce n’est pas le cas dans l’immense majorité des contrats qui restent soumis au cadre fixé par la loi avec des droits qui courent 70 ans après le décès de l’auteur. Chez LNE, nous avons envie de rythmer la relation auteurs/éditeurs. Il y aura des points de rencontre qui permettront de faire un point. Soit l’auteur ou ses ayants droit sont satisfaits et ils renouvellent, soit on rediscute des conditions, étant entendu que l’éditeur d’origine est privilégié car il a investi. Tous les éditeurs de LNE vont appliquer cette règle.
« J’ai un horizon à trois à cinq ans car mon objectif est ensuite de transmettre à mon fils Ugo »
Cette vision était-elle déjà la vôtre chez Hachette ?
Ce n’était pas une position que je pouvais défendre comme dirigeant du numéro 1 français de l’édition, même si j’avais conscience que la raideur des contrats est une source de conflit entre auteurs et éditeurs. Ce dont je suis certain, c’est que dans 25 ans ce genre de débat fera sourire. L’édition ne peut pas se construire contre les intérêts des auteurs.
Vous vous engagez également à 10 % de rémunération minimum pour les auteurs de littérature ?
Ce montant ne me semble en effet pas indécent pour la littérature générale adulte, et il peut même être plus élevé par le jeu de la concurrence. Ce n’est pas forcément le cas pour d’autres secteurs, qui doivent tenir compte de contraintes spécifiques de fabrication et des particularités de leur marché.
Comment voyez-vous LNE d’ici quelques années ?
J’ai un horizon à trois à cinq ans car mon objectif est ensuite de transmettre à mon fils Ugo. C’est un gros lecteur, un gros bosseur. Il a 34 ans et c’est lui qui développera le projet, se confrontera à la baisse du temps de lecture, à l’érosion du marché du livre, à la manière d’assurer la pérennité de LNE dans ce contexte déflationniste. Pour ma part, j’ai envie d’enrichir la famille de marques en accueillant de nouveaux talents. Nous avons vocation à être rentable dans deux ans et à dégager des profits pour investir. En 2025 nous aurons publié entre 20 et 30 livres, ce qui est très peu. En 2026 nous en publierons entre 100 et 150 ; c’est un vrai saut en avant mais qui ne devrait pas encore permettre d’équilibrer les comptes. En 2027 si tout va bien, l’ensemble de nos maisons publiera entre 200 et 250 titres .
Maison Pop, une nouvelle maison d'édition romance et grand public
Virginie Fuertes et Damien Naddeo, cofondateurs de Maison Pop, au sein du groupe Les Nouveaux Editeurs