Distribution

Approvisionnement : des délais qui font mal

Des libraires dans le dépôt de Livre Diffusion à Ivry-sur-Seine. - Photo OLIVIER DION

Approvisionnement : des délais qui font mal

Amazon oblige, le raccourcissement des délais de livraison est devenu un enjeu majeur pour les libraires. Alors que les petits points de vente sont fragilisés par la fermeture des dépôts régionaux du GIE Livre Diffusion, les libraires mutualisent leurs efforts pour trouver des solutions.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 05.12.2014 à 20h03 ,
Mis à jour le 08.12.2014 à 15h11

Le problème est devenu aigu avec l'arrivée sur le marché d'Amazon et de ses capacités à livrer dans un délai de 48 à 72 heures ses clients à domicile. Depuis, le dossier des durées des livraisons, que les libraires indépendants veulent raccourcir pour atteindre les mêmes performances que leur concurrent, est devenu, en un peu plus d'un an, un enjeu commercial de premier ordre. Matthieu de Montchalin, qui en a fait l'un des principaux chevaux de bataille du Syndicat de la librairie française qu'il préside, n'a pas manqué de le rappeler lors des Assises régionales de la librairie indépendante, qui se tenaient à Toulon les 22 et 23 octobre, interpellant vivement les deux diffuseurs présents. "Je demande à vos groupes d'en faire une priorité. Nous sommes obligés d'être violents sur ce sujet, parce que nous ne pouvons plus attendre cinq jours pour avoir nos livres. Or ce n'est plus le transport et la logistique qui bloquent, ce sont les délais de préparation. Le problème est donc commercial."

"Nous réduisons la distance et rassemblons nos clients selon leur typologie pour leur assurer un meilleur service." MICHÈLE BENBUNAN, HACHETTE- Photo OLIVIER DION

DEUX LOGIQUES

Les libraires sont d'autant plus arc-boutés sur le sujet qu'ils sont confrontés, dans la distribution, à deux logiques opposées. La première suit l'adage selon lequel plus on est proche de ses clients, mieux on les sert, et qui mise sur la déconcentration en région. Amazon a ainsi ouvert au printemps un troisième dépôt en Bourgogne alors qu'Hachette, qui a "toujours eu un ADN régional", souligne Michèle Benbunan, directrice de la branche industrielle et commerciale du groupe, a choisi de muscler ses deux entrepôts installés à Nantes et à Lyon. Ils disposent désormais de toute l'offre éditoriale du groupe et de ses diffusés, et parviennent, grâce à un plan de transport revisité, à livrer le réassort des librairies indépendantes en 48 heures, sans coût supplémentaire (1). "Nous réduisons la distance et rassemblons nos clients selon leur typologie pour leur assurer un meilleur service, tout en veillant à rester fiables tout au long de l'année", explique Michèle Benbunan.

"Lorsque le statut de Livre Diffusion a été modifié en 2009, nous n'avons pas eu de réaction solidaire. Cette erreur, nous ne voulons pas la reproduire." SYLVAIN FOUREL, LIBRAIRIE LA VOIE AUX CHAPITRES, LYON- Photo OLIVIER DION

CENTRALISATION ET FERMETURES

La seconde logique est celle d'Interforum - qui a choisi de fermer ses salles de vente en région, mais qui travaillerait à un plan de délais courts sur les commandes clients - et de Livre Diffusion, qui optent pour une organisation centralisée. Ce dernier, filiale de Gallimard-Flammarion et Volumen, s'est en effet engagé dans un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui prévoit la fermeture de ses antennes régionales de Nantes et de Lyon à la fin de l'année, et la concentration de l'activité sur le centre de distribution d'Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne (2). Le projet, enclenché officiellement le 19 septembre, s'est clos par une dernière réunion du comité d'entreprise le 23 octobre. Il engendre la suppression de 36 postes (23 à Lyon et 13 à Nantes) sur les 69 emplois que compte l'entreprise. En compensation, une quinzaine d'emplois devraient être créés à Ivry.

Faute d'alternatives tangibles de la part de Livre Diffusion, dont les propositions restent sous le boisseau en attendant les réunions d'informations prévues le 12 novembre à Lyon et, une semaine plus tard, à Nantes entre Franck Ferrière, DG de l'entreprise, et les libraires, cette option centralisatrice laisse ces derniers dubitatifs. Même si, faute de pouvoir en dire plus, Franck Ferrière se veut rassurant. "Les clients habituellement servis par Nantes et Lyon bénéficieront, via Ivry, des mêmes modalités de coûts, de conditions générales de vente, de délais et de la même offre éditoriale, présentée par leurs commerciaux habituels." Aux Assises de Toulon, Mathias Echenay, qui dirige le CDE, a également laissé entendre que Livre Diffusion pourrait s'appuyer sur des structures du type grossiste, déjà existantes en région.

EFFET DE CISEAUX

Malgré tout, les libraires, et principalement les petites structures (voir p. 19), craignent un redoutable effet de ciseaux. Le passage en direct par les distributeurs ou par Livre Diffusion Ivry va entraîner automatiquement un allongement des délais de livraisons, donc une perte de réactivité dommageable, qui, couplée à une explosion des frais de transport, va réduire la marge comme peau de chagrin. Pour Louis-Marie Cottineau, chef de dépôt de Livre Diffusion à Nantes, la fermeture risque même d'entraîner la disparition de multiples points de vente, ceux qui assurent notamment un service de proximité dans les milieux ruraux. Il va jusqu'à prévoir une trentaine de cessations d'activité en 2013. "En fermant les centres de distribution régionaux, on ferme la porte à la petite clientèle de province, ces libraires qui achètent 15 livres par semaine. Ils représentent en effet de véritables grains de sable pour les grosses chaînes de distribution, qui vont être incapables de descendre à ce niveau de clientèle. Cela impliquerait une gestion beaucoup trop lourde, qui leur coûterait trop cher, et le risque de ralentir leurs délais avec les grosses enseignes. Elles vont donc préférer perdre ces petits clients qui ne représentent rien."

Sylvain Fourel, patron de La Voie aux chapitres à Lyon, ajoute : "Nous perdons, outre un outil qui fonctionne et qui a fait ses preuves, des compétences et de la proximité que jamais Ivry ne pourra remplacer. La disparition des dépôts régionaux provoque une colère qui nécessite d'être entendue." Le libraire, qui utilise le dépôt de Lyon pour son réassort, compte ainsi se battre, avec l'association régionale Libraires en Rhône-Alpes, "jusqu'au bout pour sauver cet outil", en mobilisant notamment politiques et éditeurs. "Lorsque, sous l'impulsion de UD et de Volumen, le statut de Livre Diffusion a été modifié en 2009, nous libraires, n'avons pas eu de réaction solidaire. Chacun a cherché dans son coin une solution au meilleur coût. Cette erreur, nous ne voulons pas la reproduire aujourd'hui."

SOLUTIONS ALTERNATIVES

Combatifs, les libraires cherchent également en interne des solutions alternatives de distribution. Dominique Mazuet, qui dirige la librairie Tropiques à Paris, a ainsi conçu un Comptoir national de la librairie française. Le projet, soumis aux services du ministère de la Culture mais resté à ce jour sans réponse, prévoit la création d'un site Internet porté par une structure coopérative d'intérêt public et capable de livrer en 24 heures des ouvrages dans 800 à 900 librairies indépendantes. Le stock, composé de 100 000 références susceptibles de couvrir 99 % des demandes, serait financé en dépôt par les éditeurs.

Du côté de l'Auvergne, où une cinquantaine de boutiques sont fragilisées par la fermeture de l'antenne de Livre Diffusion à Lyon, l'association régionale des libraires indépendants (Lira) réfléchit à une plateforme logistique à même de fournir des services équivalents à ceux de Livre Diffusion. Le projet, qui cherche à s'inscrire dans un schéma économique différent, se voudrait être un lieu de transit de Prisme et un dépôt pour tous les petits éditeurs dont la capacité de diffusion et de distribution est limitée. Mais il se heurte à un obstacle de taille, la rentabilité. "Deux schémas de pensées s'opposent, analyse Odette Roquette, déléguée de Lira. D'un côté, un système où l'économie dure règne, qui s'oriente vers la centralisation et ne peut pas répondre à nos attentes. De l'autre, une pensée tournée vers l'économie sociale et solidaire, qui réfléchit en fonction des répercussions sur un territoire." Un raisonnement que partage pleinement Louis-Marie Cottineau qui veut croire "qu'il peut exister une structure en province qui fasse vivre les petits libraires. Il s'agit juste de savoir où placer le curseur de la rentabilité. C'est le partage qui donne sa valeur à la culture, sans cela, elle reste limitée".

(1) Voir LH 917 du 6.7.2012, p. 50.

(2) Voir LH 922 du 21.9.2012, p. 50.

Nantes : une disparition inquiétante

 

Les libraires de l'Ouest de la France ressentent durement la fermeture annoncée de Livre Diffusion. Chacun essaie de trouver une parade.

 

"Mon seul espoir réside dans le dépôt d'Ivry, mais vont-ils pouvoir faire face à la demande ?" JULIE BEAUPARLANT-ROUTIER, LIBRAIRIE PLUME, BLAIN- Photo PLUME

Une perte de souplesse" pour Dominique Fredj de la librairie Le Failler à Rennes, qui a recours au dépôt pour se dépanner sur les best-sellers ou lorsqu'il a besoin de réassorts ultrarapides ; une "catastrophe" pour Julie Beauparlant-Routier, qui a ouvert en juin dernier sa petite boutique Plume, 35 m2, à Blain (39 km au nord-ouest de Nantes) et qui s'y approvisionne essentiellement : la prochaine fermeture de l'antenne nantaise de Livre Diffusion provoque interrogations, amertume et inquiétude chez les libraires de l'Ouest. "J'ai une petite structure fragile, vulnérable au moindre changement", explique ainsi Julie Beauparlant-Routier, qui redoute la mise en péril de l'équilibre économique de sa boutique. Plus de la moitié de son stock provient en effet du dépôt, où elle se rend tous les jeudis matin pour récupérer ses commandes - passées auparavant par Dilicom -, flâner dans les allées pour voir les nouveautés et apporter ses éventuels retours.

N'incluant pas les coûts de ces trajets dans sa comptabilité, elle gagne ainsi sur le transport. Ce poste va pourtant s'alourdir fortement avec la fermeture de la salle des ventes, vu le test qu'elle a mis en place en septembre avec Prisme et Editis, et qui lui a coûté 260 euros, dont 110 pour l'abonnement à la plateforme interprofessionnelle. Cette charge mensuelle supplémentaire, elle ne sait comment la financer. En passant directement avec les distributeurs, sa marge brute risque en effet de se contracter. De 32 % chez Livre Diffusion, sa remise tombe, par exemple, à 30 % avec la Sodis, qui a bien voulu lui ouvrir un compte, contrairement à Volumen où on lui a opposé un chiffre d'affaires trop maigre et l'obligation d'accepter les offices. "Mon seul espoir réside dans le dépôt d'Ivry, mais vont-ils pouvoir faire face à la demande ?" s'interroge la libraire, qui craint alors pour ses délais.

S'APPROVISIONNER À LA FNAC

A Nozay (45 km au nord de Nantes), la situation est encore plus tendue pour Sophie Provost et sa Bulle de 30 m2. Pas informatisée, elle ne sait pas du tout comment elle procédera après la fermeture de Nantes. "Je vais finir par aller m'approvisionner à la Fnac", ironise la trentenaire, qui voit deux années et demie d'efforts pour faire vivre sa librairie en milieu rural menacées par une logique qui la dépasse. "Pour que nos voix portent haut et fort", explique-t-elle, Sophie Provost a décidé d'adhérer à l'association régionale des libraires indépendants.

Plus loin, la situation est tout aussi délicate. Camille Hacquard, créatrice des Vieux livres, quasi vingt ans d'existence à Châteaugiron (124 km de Nantes), a des comptes ouverts partout mais continue à passer ses commandes via Livre Diffusion Nantes, malgré l'instauration des frais de port en début d'année. "J'y gagne en remises et en délais, qui sont de 24 à 48 heures, et j'ai un service humain et de proximité. Je ne retrouverai pas tout cela à Ivry." Pour autant, passer en direct par les distributeurs ne la satisfait pas non plus. "Si je veux limiter les coûts de transport, je ne m'offre plus qu'une livraison par semaine par Prisme, autant dire que je vais largement y perdre en réactivité", constate Camille Hacquard. L'équation se corse encore lorsqu'il s'agit de petits éditeurs ou diffuseurs, tels Daudin ou Pollen. La distribution par le dépôt de Nantes permettait de mutualiser ces commandes, souvent à l'unité et pour les collectivités. "Que faire pour ces livres maintenant ? Attendre d'en avoir plusieurs en commande ou les faire venir un par un ?" s'interroge la libraire, qui cherche encore la réponse.


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