Avant-critique Essais

Annette Wieviorka, "Itinérances" (Albin Michel)

Annette Wieviorka - Photo © AFP/JOEL SAGET

Annette Wieviorka, "Itinérances" (Albin Michel)

Rentrée littéraire

Dans ce recueil de textes éclairants, l'historienne Annette Wieviorka revient sur ses recherches à travers ses lieux de mémoire.

Parution 2 janvier

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Par Laurent Lemire
Créé le 09.12.2024 à 14h00

Les travaux et les jours. On les considérait assez peu, les témoins, avant qu'Annette Wieviorka ne vienne rappeler leur importance dans la fabrique de l'histoire. D'autant qu'ils vont disparaître et qu'il faut se dépêcher d'écouter ce qu'ils ont à nous dire sur l'un des plus grands drames du XXsiècle : la Shoah. Cet ouvrage nous permet à la fois d'y voir plus clair sur la manière dont on se saisit du passé et de saluer l'une des grandes historiennes du temps présent qui a défriché avec ténacité les terrains de la perception et de la mémoire du génocide des Juifs, mais aussi de la résistance communiste.

Certes, Annette Wieviorka a déjà évoqué son parcours dans d'autres ouvrages, son engagement maoïste (au point d'avoir séjourné deux ans en Chine), ou sa famille d'origine polonaise (Tombeaux, Seuil, 2022, prix Femina essai). Avec Itinérances, nous entrons en quelque sorte dans son atelier. Elle nous le fait visiter à travers plusieurs lieux emblématiques parmi lesquels le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) à Paris, New York lors d'un stage accéléré de yiddish, Drancy, Auschwitz ou encore le 10e arrondissement où cette Parisienne a toujours vécu et où elle écrit.

Pour chacun de ces lieux, elle propose une introduction très personnelle, suivie de textes parus dans des revues, des catalogues ou à l'occasion de colloques. Elle montre comment il lui a fallu résister pour ne pas « faire métier et carrière dans la mémoire ». Elle rend aussi hommage aux premiers historiens du génocide des Juifs, les Léon Poliakov, Raul Hilberg, Saul Friedländer, Isaac Schneersohn, Olga Wormser-Migot, Serge Klarsfeld, autant de personnages fascinants et complexes qu'elle éclaire à travers des portraits subtils. « Pris tous ensemble, ils dessinent un idéal type de l'historien : l'esprit d'aventure, la créativité, la curiosité infinie pour l'homme, l'amour de la liberté intellectuelle et le courage, la distance qui se traduit par l'humour, la finesse, le caractère obsessionnel, le goût d'écrire. »

Annette Wieviorka a œuvré pour faire émerger une histoire du monde juif survivant, celui de la mémoire collective. Son livre se présente comme un vade-mecum des travaux et des jours. Il révèle les plaisirs de la recherche, de l'écriture qui permet de mieux assimiler son sujet, de le transmettre et de l'enrichir aussi. Il montre également les jours de labeur dans les archives, à faire émerger les traces d'une horreur toujours recommencée, à lutter également contre les manipulateurs du passé et le mensonge, « la pire lèpre de l'âme » pour l'historien Marc Bloch. Anne Wieviorka est venue à l'histoire par celle de sa famille, une histoire qu'elle a partagée par l'écriture et dans laquelle se sont retrouvés d'innombrables lecteurs, sensibles à la dimension d'universalité et d'humanité de ses « itinérances ».

Annette Wieviorka
Itinérances
Albin Michel
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 24 € ; 400 p.
ISBN: 9782226480354

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