Roman/France 29 août Bérengère Cournut

Les Hopis avaient inspiré à Bérengère Cournut Née contente à Oraibi (Le Tripode, 2017 qui reparaît en poche), l'autobiographie romanesque d'une jeune Amérindienne sur les mesas désertiques d'Arizona. De pierre et d'os est né de la même rencontre fascinée avec une autre civilisation millénaire, celle des Inuits. A première vue, on pourrait dire que la démarche de l'écrivaine est ethnographique, proposant une plongée dans la culture des nomades du Grand Nord, nourrie à la faveur d'une résidence d'écriture au Muséum national d'histoire naturelle à Paris. Et il y a de ça, cette forme documentaire, dans le récit de tous ces trésors ancestraux d'adaptation développés dans un milieu plus qu'inhospitalier. Les techniques de chasse, la répartition du gibier, le stockage de la nourriture, la construction des campements, l'organisation familiale et sociale, la répartition sexuée des tâches..., tout cela, que la romancière décrit avec un souci du détail, une précision toutefois toujours légère, jamais didactique. Mais si De pierre et d'os n'est pas seulement un livre bien informé digne de la collection « Terre humaine », c'est que l'écrivaine a clairement opté pour la fiction. Et plus encore que l'art de survivre, l'art de vivre spirituel concentre la dimension la plus littéraire de ce roman d'initiation. Cela tient en partie au choix de se mettre dans la tête, dans la peau d'une jeune Inuite qui, au début du livre, se retrouve seule en pleine nuit, coupée du reste de sa famille après l'ouverture d'une faille à travers la banquise. Elle ne va pouvoir compter, pour ne pas mourir, que sur l'expérience transmise par les siens, sur son endurance physique et ses ressources mentales. C'est ainsi, d'une façon très intime, que la romancière met en mots les épreuves, les rites de passages, les croyances, les totems et les tabous, la riche cosmogonie de toute une communauté. Ainsi qu'elle parle sans surplomb des « esprits auxiliaires » qui cohabitent avec les vivants, des âmes des défunts qui investissent le corps des nouveau-nés et leur donnent leur nom. Ainsi qu'elle peut réinventer ces chants qui réchauffent les veillées pendant l'hiver polaire, dans « la grande maison de fête ». L'écrivaine s'approche au plus près, dans une admiration respectueuse, de cet imaginaire collectif qui lie les humains et les éléments, le matériel et l'invisible, dans un grand tout commun. Et, à travers le destin épique de son héroïne, elle célèbre la force des femmes. « Femmes puissantes/Encourent d'abord/Tous les dangers », dit le chant.

DansPar-delà nos corps, le précédent livre de Bérengère Cournut, paru en février dernier, un roman épistolaire qui fait écho àMinuit en mon silencede Pierre Cendors, une femme écrit à un jeune homme rencontré vingt-cinq ans plus tôt : « la vie n'est rien de plus qu'une onde qui résonne d'un cœur à l'autre. Je suis heureuse que les deux nôtres, un jour, aient vibré à l'unisson ». Comme Uqsuralik, « la femme de pierre au caractère d'ours, au nom d'hermine », sa chamane des glaces, la romancière a une sensibilité particulière aux âmes en correspondance.

Bérengère Cournut
De pierre et d’os - Illustrations Juliette Maroni
Le Tripode
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19 euros ; 256 p.
ISBN: 9782370552129

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