Interview

Amélie Nothomb : « Je sens, dans mon écriture, quelque chose de japonais »

Amélie Nothomb - Photo Pascal Ito

Amélie Nothomb : « Je sens, dans mon écriture, quelque chose de japonais »

La romancière publie le 16 octobre chez Albin Michel un album illustré Le Japon éternel dans lequel elle revient sur son amour pour ce pays. Interview.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 11.10.2024 à 16h34

Le Japon éternel, sous-titré Voyage sous les fleurs d’un monde flottant est un album consacré aux fondamentaux de la culture nipponne signé Amélie Nothomb. Il est issu de ses podcasts réalisés avec Laureline Amanieux. Superbement illustré avec une couverture en noir et blanc d'Adrienne Bornstein (voir également notre critique), l'ouvrage comprend des photographies de lieux contemporains du Japon, des œuvres iconiques des grands artistes japonais, des objets de collections du musée Guimet, des photographies des grands jardins japonais et du musée Albert Khan, ainsi que des illustrations contemporaines ou encore d’art vivant japonais.

Il est publié chez Albin Michel, comme tous les livres d’Amélie Nothomb et notamment son dernier roman L’impossible retour, qui se situe lui aussi au Japon, pays cher à son cœur où elle estime avoir échoué à vivre. Comme elle le racontait déjà dans Stupeur et tremblements (Albin Michel, 1999, Grand prix du roman de l’Académie française), ou La Nostalgie Heureuse (Albin Michel, 2013). L’occasion pour nous de revenir avec elle sur cette « japonité » qu’elle revendique, sur son parcours et sur sa pratique, si personnelle, de l’écriture.

 

Livres Hebdo : Comment est né Le Japon éternel ?

Amélie Nothomb : Il y a deux ans, nous avions réalisé avec Laureline Amanieux, qui connaît le Japon mille fois mieux que moi, des podcasts où je conversais avec des spécialistes éminents de la culture nipponne. Les réactions des auditeurs avaient été enthousiastes, et nous avions ressenti comme une sorte de frustration que l’aventure s’achève ainsi. C’est pourquoi nous avons fait ce livre. C’est le Japon pour les nipponophiles, et pour ceux de mes lecteurs qui m’aiment vraiment.

Avec votre roman L’impossible retour, qui se passe au Japon, c’était une séquence préméditée ?

Pas du tout. C’est dû à plusieurs heureux hasards. L’impossible retour, c’est le récit, romancé, d’un voyage au Japon que j’ai effectué en mai 2023 avec une amie et à sa demande. Je n’y étais pas retournée depuis longtemps. C’était une opportunité. Mais, même quand je ne parle pas du Japon, le Japon est tellement présent en moi. Je sens, dans mon écriture, quelque chose de japonais.

Dans L’impossible retour, quel est l’équilibre entre la réalité et la fiction ?

Le plus difficile, c’est de garder la bonne distance vis-à-vis de son sujet. Je suis donc distante, mais pas trop. En clair, je ne suis pas partie au Japon avec une amie photographe, mais avec une amie écrivain, disons « exigeante ». C’était sa volonté de ne pas apparaître dans le livre, et, pour moi, c’était plus intéressant qu’elle soit photographe. Question de regard.

Durant votre voyage, on vous voit écrire, comme à votre habitude, chaque jour à 4 heures du matin. Est-ce L’impossible retour que vous écriviez, en live ?

Pas du tout, j’écrivais tout autre chose ! Un roman que j’ai choisi de ne pas publier, fidèle à ma façon de travailler depuis toujours. Grâce à une stricte discipline, j’écris trois romans par an, j’en sélectionne un, seule, au flair, et je le présente à mon éditeur, Francis Esménard, le premier à m’avoir fait confiance. En plus de trente ans, il ne m’a refusé que trois textes, et il avait raison. C’est quelque chose que je peux accepter, parce que j’ai foi en son jugement.

« Je vis dans la terreur, l’angoisse, je suis malade au moment de remettre mon manuscrit »

Est-ce que vous vous êtes habituée au succès, depuis toutes ces années ?

Absolument pas. À chaque livre, c’est toujours une surprise, presque totale. Je crains de faire des envieux, mais il y a un revers à la médaille : avec le temps, j’empire ! Je vis dans la terreur, l’angoisse, je suis malade au moment de remettre mon manuscrit. L’écriture, telle que je la pratique, est une mécanique très dure et très protectrice à la fois. J’ai vécu des situations compliquées, à 4 heures du matin, écrivant à genoux sur mon cahier, à jeun, une tasse de thé fort à côté de moi, avec un compagnon, alors perturbé, qui me poursuivait en m’insultant. Je suis un être très patient et très courageux. Avec la fidélité de Pénélope, mais productive ! J’ai toujours été capable d’écrire, même dans les pires moments, comme il fallait écrire. Cela suppose des années et des années de pratique quotidienne.

Une expérience proche du zen ?

Ma pratique de l’écriture s’apparente en effet à une forme de méditation, d’ascèse. Je descends dans le sous-marin de l’écriture. J’entre en mon corps. J’ai froid, j’ai des suées. Et les jours où j’ai obtenu l’écriture souhaitée, mon corps dégage une odeur particulière, pas très agréable… J’ai commencé à écrire à l’âge de 17 ans, mais, au début, je n’y arrivais pas. C’est grâce à cette méthode, mise au point lorsque je vivais au Japon, vers mes 21 ans, à la fin des années 1980, que j’ai pu devenir écrivain. J’ai tout investi dans l’écriture : pas d’ordinateur, de télévision, de téléphone portable, de réseaux sociaux…

Est-ce que cette mécanique pourrait un jour s’arrêter ?

Je ne le souhaite pas et ne le vois pas venir. Je me souviens de ce que m’avait dit un jour le grand Paul Veyne : « À partir de 85 ans, ça devient plus difficile ». J’ai encore un peu de temps !

Vos romans sont publiés dans 47 langues étrangères. Quels sont les pays où ils fonctionnent le mieux ?

L’Italie, où tous mes livres sont traduits, et où je vais chaque année. L’Espagne. La Corée du Sud aussi, où je suis populaire parce que considérée comme un auteur « anti-japonais ».

Et au Japon ?

Justement, ce n’est pas là que ça marche le mieux ! Tous mes livres y sont traduits, mais pas très populaires.

Comptez-vous y retourner un jour ?

Certainement, mais pas tout de suite. Rendez-vous dans dix ans !

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Le Japon éternel, Voyage sous les fleurs d’un monde flottant, avec Laureline Amanieux, Albin Michel, 352 p., 24,90 E, mise en vente le 16 octobre.
Amélie Nothomb, L’impossible retour, Albin Michel, 158 p., 18, 90 E., en librairie.

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