Entretien

Franck Thilliez : « Lire un polar devrait être remboursé par la Sécurité sociale »

Franck Thilliez - Photo Louise Ageorges

Franck Thilliez : « Lire un polar devrait être remboursé par la Sécurité sociale »

Le maître du polar français est de retour, fidèle à son rendez-vous de mai, comme il aime l’appeler. À retardement, son 25ᵉ roman, paraîtra le 2 mai aux éditions Fleuves et marque le retour de son personnage emblématique Sharko. L'ouvrage plonge le lecteur dans une Unité pour Malades Difficiles et l'univers glaçant de la folie humaine. À l’occasion de cette nouvelle parution, Livres Hebdo a rencontré l'écrivain pour évoquer cette année d'écriture, son processus créatif et son regard sur une carrière bien remplie.

J’achète l’article 1.5 €

Par Louise Ageorges
Créé le 16.04.2025 à 18h05

Livres Hebdo : Dans À retardement, vous plongez le lecteur dans la réalité d'une Unité pour Malade Difficiles (UMD). Vous vous êtes vous-même immergé dans un tel établissement pendant plusieurs jours : pourquoi avoir choisi cette toile de fond, cette thématique de la folie ?

Franck Thilliez : La maladie mentale est un sujet qui m’intéresse depuis mes débuts. Dans tous les polars, il y a un passage à l’acte, et ce qui m’intéresse, c’est ce moment de bascule. Cette expérience immersive a été essentielle pour générer le livre, les UMD sont des lieux qui fascinent énormément de gens, moi y compris.

« Derrière certains actes, parfois terribles, il y a la maladie qui s’interpose entre la personne et sa conscience »

Ce sont des endroits clos et très sécurisés où sont pris en charge les patients les plus dangereux. Souvent, ce sont des personnes qui ont tué, mais qui ne vont pas en prison car jugées irresponsables. Derrière certains actes, parfois terribles, et c’est tout le sujet du livre, il y a la maladie qui s’interpose entre la personne et sa conscience. C’est cela que je voulais expliquer, avant tout. Et, qui sait, contribuer modestement à faire évoluer le regard que l’on porte sur ces maladies.

C’est assez déroutant à la lecture : dans la description des lieux, des ambiances, il y a quelque chose d’immersif, d’assez glaçant et réaliste.

J’ai voulu rester au plus près de la réalité. Avant d’y aller, j’avais moi-même beaucoup d’idées reçues. J’imaginais des hurlements, j’avais peur d’être confronté à de la violence. Et pourtant, ce qui m’a frappé dès que j’ai mis les pieds dans cette UMD, c’est le silence. Un calme absolu.

« C’était essentiel pour moi de ne pas tomber dans la caricature ou l’exagération »

J’avais aussi cette image d’un lieu d’enfermement, presque carcéral, où les patients seraient en permanence sous sédation. En réalité, c’est tout l’inverse : ils ne vont dans leur chambre que pour dormir. La journée, des activités leur sont proposées, pour maintenir le lien social et stimuler leur esprit. C’était essentiel pour moi de ne pas tomber dans la caricature ou l’exagération. Je voulais montrer ces lieux tels qu’ils sont, parler des patients, de leur souffrance.

À retardement est votre 25e ouvrage. En moyenne, vous sortez un livre par an et rencontrez toujours un immense succès : comment parvenez-vous à être aussi productif tout en conservant l’impatience des lecteurs ?

Je pense que c’est une question de travail. Depuis que j’ai quitté l’entreprise, je continue de me lever tous les matins vers sept heures et j’écris durant des journées complètes. Ainsi, au lieu de m’étaler sur deux ou trois ans, toutes ces heures d’écriture me permettent de sortir un ouvrage annuel. C’est bien, parce que ça m’occupe en permanence.

« Mon temps est consacré à l’écriture »

Il faut bien imaginer que suis seul lorsque j'écris des romans et j'ai horreur du vide. En plus, je suis à la campagne, donc je n’ai pas de distractions particulières : mon temps est consacré à l’écriture. Et puis, un an, c’est parfait : le rendez-vous de mai est un beau rendez-vous pour les lecteurs, juste avant les vacances. Les gens savent que le livre va sortir, ils l’attendent, ils décomptent, c’est devenu un rituel.

Comment gérez-vous ces phases de travail avec Fleuves éditions ?

J’aime remettre mon livre une fois qu’il est terminé. Étant donné que j’écris du thriller, avec une mécanique bien ficelée, le texte doit être à la hauteur jusqu’au dénouement. Si je fais lire le manuscrit trop tôt, même si les 450 premières pages fonctionnent parfaitement, et que les 50 dernières sont ratées, la déception sera immense. C’est une fois le texte rendu dans sa globalité que commence un travail fondamental avec la maison d’édition.

« Il s’agit essentiellement d’un travail de finition »

En général, tout fonctionne d’un point de vue mécanique. Il s’agit donc essentiellement d’un travail de finition : raccourcir certaines descriptions trop longues, approfondir un personnage encore trop peu développé, ajuster des détails du texte. Ensuite, il reste à choisir la couverture et le titre. Tout ce temps est nécessaire pour qu’au final, le texte devienne un véritable livre, un objet que l’on a envie de lire.

Certains de vos romans, comme Syndrome E ou Vortex, ont été adaptés pour la télévision. Quel effet cela vous fait-il de voir vos histoires prendre forme sur petit écran ?

Je suis toujours très heureux lorsque le monde de l’audiovisuel s’intéresse à mes romans. J’écris des histoires assez universelles, que je raconte à travers mes mots, et c’est une vraie satisfaction de savoir qu’elles vont pouvoir exister autrement. Que ce soit à l’écran, en bande dessinée ou en livre audio, quand on est auteur, on espère avant tout que nos histoires toucheront le plus grand nombre. Bien sûr, lorsque l’on cède ses droits à un producteur, l’histoire ne nous appartient plus vraiment. C’est un risque que j’accepte de prendre, je me dis que si le résultat final ne me plaît pas, cela n’enlèvera rien de la belle histoire qui a précédé. Et puis, j’ai eu de la chance, même si les occasions n’ont pas été nombreuses, j’ai toujours aimé les adaptations qui ont été faites de mes romans.

Le polar rencontre un immense succès en France. Comment expliquez-vous cet attrait des lecteurs pour un genre littéraire aussi sombre ?

Le fait divers a toujours fasciné. Cette attirance pour l’inconnu, pour l’inexplicable déviance de la nature humaine, intrigue depuis toujours, et c’est précisément ce que le polar explore. Le polar joue avec tout un tas d’émotions : la peur, évidemment, un instinct primitif que nous avons besoin d’exercer. Et puis, le polar, c’est aussi un moyen de transgresser. Dans la vie réelle, nous avançons sur des rails, encadrés par des règles. Ouvrir un livre, c’est s’en échapper. L’histoire nous emmène dans des lieux interdits, et nous permet, le temps d’une lecture, de regarder par le trou de la serrure.

Si le dernier baromètre du CNL s’inquiète des habitudes de lecture des Français, il confirme néanmoins, une fois de plus, le succès du roman policier, qui s’impose comme le quatrième genre littéraire le plus lu en 2024. Le polar peut-il réconcilier les Français et la lecture ?

Le polar, c’est une littérature populaire, un genre accessible au plus grand nombre. En dédicace, au moins une personne sur dix me dit s'être remise à la lecture trente ans après l'école grâce à l’un de mes livres. Souvent, ces personnes deviennent d'ailleurs de grands lecteurs. C’est ça, la force du polar : il permet une reconnexion à la lecture que d’autres genres, plus exigeants, ne permettent pas toujours. 

« Garder ce niveau dans l’écriture, continuer de surprendre, c’est ça qui est compliqué »

Un livre trop difficile ou trop littéraire peut rappeler aux gens les lectures scolaires qui les avaient dégoûtés. Alors ils le reposent. Et puis, ça fait du bien de lire du polar. Quand on voit ce que traversent les personnages, on relativise, on se dit que nos vies ne sont pas si mal, c'est presque cathartique. D’ailleurs, comme on dit souvent : ils devraient être remboursés par la Sécurité sociale.

À retardement sort le 2 mai. Quel est votre ressenti à l’approche de sa parution ?

Je suis très heureux. Il y a toujours ce sentiment des premiers jours, des premiers romans. Heureusement que cette excitation reste. Je suis super pressé que ça sorte, que les lecteurs le trouvent. Et puis il y a toujours un petit stress : est-ce que le livre est à la hauteur ? En réalité, si je me fie aux premiers retours des libraires et des journalistes, je suis très confiant. Le côté aléatoire des débuts a disparu. Aujourd’hui, avec les années, je sais que les lecteurs seront au rendez-vous. Mais il faut continuer à écrire de bonnes histoires, et c’est sans doute mon plus grand défi dans ce qui devient une carrière longue. Garder ce niveau dans l’écriture, continuer de surprendre, c’est ça qui est compliqué, alors qu’écrire un super bon livre quand c’est le premier, c’est une chance.

 

Les dernières
actualités