L'homme à abattre. Alain Blottière est un écrivain rare, comme ces terres rares si convoitées de nos jours, qui, entre autres problématiques, se trouvent au cœur de son nouveau roman. Depuis 1980, il en a publié neuf (celui-ci étant son dixième), volontiers teintés d'orientalisme. Blottière vit la majeure partie de son temps en Égypte. Quoique s'y déroulant en grande partie à nouveau, Le ciel a disparu se situe dans une veine différente : contemporaine, apocalyptique, sombre.
Nous sommes dans les années 2050. Liki, né en 2011, est l'un des deux narrateurs. Il vient de retrouver l'espèce de journal tenu par son grand-père adoptif Ayann Ader, un écrivain français mort en 2045 qui vécut entre la butte Montmartre et l'oasis de Sifra dans le désert Libyque. Ayann Ader y raconte comment, en 2026, il avait échafaudé un plan pour assassiner Elon Musk, dont les entreprises insensées menaçaient l'existence même de la Terre et de l'humanité. Grâce à son amie Marie, une psy spécialiste des cas difficiles, il était entré en contact avec Ethan, un jeune hacker addict à l'alcool et à la cocaïne, et qui mourra d'ailleurs d'une overdose juste au moment de l'opération d'élimination. Avec l'aide d'un autre hacker, et moyennant bitcoins (Ader est un homme riche), il était question de prendre le contrôle de la Tesla Model S de Musk, chez lui à Boca Chica, au Texas, et de l'envoyer dans le décor. Sans remords, puisque, pour Ayann, Musk était « le mal incarné », celui qui, dans sa folie, pouvait entraîner le monde vers l'abîme. Mais un grain de sable, juste un peu d'humanité, grippa la mécanique, et le monde en subit les conséquences. En 2038, une collision entre deux satellites, dont un Starlink, provoqua des cataclysmes en série, renvoyant la Terre et ses survivants à l'âge préindustriel. Liki, devenu à 17 ans un peintre célèbre (Le ciel a disparu est le titre d'un de ses tableaux les plus fameux, acquis par la Musk Foundation elle-même), va devoir tenter de vivre, avec Jade, la femme de sa vie, la fille de Marie. Au fur et à mesure qu'il lit et publie le journal d'Ayann, il le commente et le complète des événements survenus entre 2026 et 2050.
Ce qui transparaît à chaque ligne, c'est l'amour pudique, discret, qui liait le vieil écrivain et le petit prolo du Caire, dont il avait déjà adopté le père. Ayann Ader a sauvé le gamin de la misère, l'a éduqué, lui a donné les moyens d'exprimer son talent, sans le couper de sa famille ni de son pays. Ce n'est pas si fréquent. Toutes ces histoires nous valent un roman angoissé et angoissant, qui, on l'espère, ne sera pas prophétique. Pour positiver, on savourera les scènes de bonheur familial dans l'oasis de Sifra, et l'amour né entre Liki et Jade, comme si c'était le dernier possible sur cette Terre, avant l'apocalypse.
Le ciel a disparu
Gallimard
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 18 € ; 160 p.
ISBN: 9782073129918
