On connaît le club de France Loisirs ou Kilimax, l'abonnement annuel lancé dès 1981 par L'École des Loisirs avec la livraison de huit titres en classe ou à domicile. On se souvient la vague de création de box littéraires, à l'image de Kube, voilà une dizaine d'années. On sait moins, en revanche, qu'une poignée de maisons et librairies indépendantes expérimentent, elles aussi, la formule de l'abonnement depuis quelques années.
Leurs offres sont variées. Les maisons jonglent généralement entre un abonnement intégral - composé de l'ensemble de leur production annuelle - et plusieurs formules thématiques ciblées et au tarif ainsi plus abordable. En librairie, les propositions sont multiples. Cogérant de la librairie Fracas (Lorient), Guillaume Arditti construit son offre autour « des livres qui [lui] plaisent ». Juliette Debrix et Annabelle Chauvet, créatrices d'Un livre et une tasse de thé (Paris), sélectionnent chaque mois une thématique féministe et laissent aux personnes abonnées le choix entre un essai et une fiction. À la librairie Mouche (Saint-Grégoire), Camille Laravoire opte pour « des abonnements très personnalisés » grâce à un questionnaire en ligne pour « mieux cerner les goûts » des personnes intéressées. Ce lien virtuel peut même être complété par un appel téléphonique pour affiner les attentes.
Attrait économique
Ces formules peuvent avoir un certain attrait économique. Michel Fiévet, ancien enseignant, a créé L'Ail des ours en 2019. N'ayant, à l'époque, « pas le temps d'être présent sur les salons » et pas de site vitrine, l'éditeur s'est tourné vers l'abonnement pour faire connaître son catalogue de poésie. Dès la première année, il enregistre 347 commandes. « J'ai l'impression que des fées se sont penchées sur la maison », sourit-il. Aujourd'hui, s'il est présent sur les salons, autodiffusé en librairie et s'est doté d'un site internet, l'abonnement représente encore la moitié de son chiffre d'affaires.
Pour d'autres personnes interrogées, cette offre permet un apport ponctuel de trésorerie. Celui-ci est variable, dépendant du nombre de personnes abonnées - ici compris entre une trentaine et près de 400 personnes. Ce modèle a soutenu les Éditions du commun entre 2018 et 2022. En librairie, Camille Laravoire assure que cela représente « clairement de la vente additionnelle ». Pour autant, beaucoup assurent que cette proposition « n'est pas une solution miracle », comme le résume Lucie Berson, éditrice associée avec Pauline Oranna Fousse du Passager clandestin.
Charge de travail supplémentaire
Chaque abonnement induit logiquement une charge de travail supplémentaire. Concevoir l'offre, fixer les prix, la durée des abonnements, créer une page dédiée sur son site, communiquer, suivre les commandes, sélectionner les ouvrages, préparer les envois... La liste est longue. D'autant qu'il faut arriver à faire tenir l'ensemble sur un plan comptable. Un défi, notamment pour les libraires qui doivent composer avec les prix de vente de chaque ouvrage. L'objectif : s'assurer, à la fin de l'année, que le tarif total des titres envoyés corresponde bien au prix de vente de leur abonnement. « Nous cherchons l'équilibre avec un livre plus cher un mois puis un livre moins cher le suivant », explique concrètement Camille Laravoire. Regrettant les effets de l'inflation, elle reconnaît d'ailleurs ne pas pouvoir intégrer « toutes les maisons » dans ses offres.
À cette équation délicate s'ajoute celle, tout aussi contraignante, des frais d'expédition. « Six euros de port... Ma clientèle tique », soupire la librairie. Elle ne prend pas ces frais à sa charge. Pas plus que Guillaume Arditti. « Ma clientèle est compréhensive, et je lui propose des envois groupés pour lui éviter de payer le port tous les mois », indique-t-il. Michel Fiévet, quant à lui, s'inquiète de la fin de la solution d'expédition à l'international « Livre et brochure » prévue pour juillet. « J'ai des lecteurs et lectrices fidèles à l'étranger... Je vais perdre entre 15 et 20 % de mes abonnements », déplore-t-il.
Créer du lien
Malgré les défis, l'offre commerciale peut avoir quelques avantages. « Nous devons anticiper tous les textes sur un an, les couvertures, la pagination, le prix. Cela peut nous permettre d'anticiper la promotion et de gagner du temps sur le reste de l'année », déclare Lucie Berson. « Cette solution permet aussi de prévoir et ajuster les tirages », ajoute Sylvain Bertrand, cofondateur des Éditions du Commun. Cette formule peut également être un relais de communication. « Les clients font du bouche-à-oreille autour de l'abonnement », constate Camille Laravoire.
Artisanales et complémentaires des circuits traditionnels, ces initiatives cultivent surtout un rapport de proximité avec les lecteurs et lectrices. « C'est un modèle similaire aux AMAP. L'idée est de mobiliser un cercle de personnes fidèles autour de notre catalogue », pointe Sylvain Bertrand. « L'abonnement est une manière supplémentaire de fidéliser la clientèle », abonde Guillaume Arditti.
Rencontre et échange
Ce lien ne se limite pas au livre. Créateur de L'Œil ébloui et de la collection « Perec 53 », Thierry Bodin-Hullin glisse systématiquement « un petit mot » dans ses envois. Désireux de « bichonner » les personnes abonnées, il envisage de leur dédier « une newsletter spéciale » afin de « créer une communauté » en lien direct avec lui. Dans le même esprit, Michel Fiévet fait confectionner « des cartes postales par un artiste » qu'il ajoute à ses plis. Guillaume Arditti a, quant à lui, organisé « un apéro des abonnés et abonnées en juin dernier ». Un « chouette moment de rencontre et d'échange » qu'il espère reconduire cette année.
Le modèle n'est certes pas un eldorado économique. Mais pour les maisons et librairies indépendantes qui s'y engagent, l'essentiel semble ailleurs. « Par abonnement ou en librairie, mon métier reste le même et j'y porte la même attention », pointe Camille Laravoire. « Je vois l'abonnement comme une sorte d'investissement pour notre lectorat qui aime ne pas avoir l'impression de simplement acheter une marchandise. Et nous leur devons bien ça », conclut Thierry Bodin-Hullin.