Le procès est ouvert. 8 ans après les faits. 4 ans après la publication du livre
Histoire de la violence (Seuil).
Edouard Louis y racontait une agression sexuelle par un amant un soir de Noël. Vendredi 23 octobre, Citant le rapport médico-légal, les "
versions concordantes" de l'auteur auprès "
des amis, des services de police, des médecins", la procureur a requis une peine de 4 ans dont 2 ans avec sursis, avec obligation de soin
Le soir du 25 décembre 2012, Edouard Louis, pas encore connu pour son roman
En finir avec Eddy Bellegueule, alors âgé de 20 ans, porte plainte pour viol et tentative de meurtre. Aux policiers, il rapporte avoir rencontré dans la rue, vers 3H30 du matin, un homme prénommé
Reda, qui l'a accompagné chez lui.
Celui qui n'était pas encore un écrivain en vue raconte à l'époque avoir eu des relations sexuelles consenties, avant de se rendre compte que sa tablette et son téléphone avaient disparus. Confronté, Reda était alors devenu menaçant, l'a étranglé avec une écharpe puis violé, déclare Edouard Louis, qui ajoute avoir réussi à se réfugier sur le palier avant que son agresseur ne quitte les lieux.
"On ne juge pas un livre, on juge les faits"
Cette nuit, l'écrivain la racontera plus tard dans Histoire de la violence, publié en janvier 2016. Deux jours après, un suspect est interpellé fortuitement dans une autre affaire et confondu par son ADN. A l'issue de l'instruction, comme dans de nombreux dossiers d'accusations de viol, les faits ont été requalifiés en "
agression sexuelle", amenant l'affaire devant un tribunal et non aux assises.
L'ouvrage de 2016, adapté au théâtre et traduit dans plusieurs langues, revient sans cesse dans les débats, évoqué par le témoin, cité par la partie civile, dénoncé par la défense.
"
On ne juge pas un livre, on juge les faits", a prévenu la procureure en ouverture de son réquisitoire, appelant à chercher une "
vérité judiciaire" et non "
littéraire".
"
Je jure à la justice française qu'il n'y a jamais eu de violence, même des violences verbales", a déclaré plus tôt à la barre le prévenu de 35 ans, remis en liberté fin 2016 après onze mois de détention provisoire. Cet homme né en Algérie, sans papiers, qui s'exprimait par la voix d'un interprète, a réfuté l'étranglement et le viol. L’Algérien a confirmé la rencontre avec Edouard Louis et reconnaît que, sans-papiers et "
dans le besoin", il a tenté de subtiliser la tablette mais pas le téléphone. "
Je me suis même déshabillé pour lui montrer que je ne l'avais pas sur moi. Il ne m'a pas cru", assure le prévenu, connu sous plusieurs identités et surnommé Reda. "
Je suis épuisé à cause de ce qu'il s'est passé, je suis devenu paranoïaque. A part les faits de vol, rien n'est vrai" affirme-t-il. Et de lancer : "
Il n'y a que des mensonges, je suis épuisé".
"État de choc"
De l'autre côté de la barre, Edouard Louis, 27 ans, n'est pas là: il a "
toujours peur", résume son avocat. Au cours de l'instruction, l'écrivain, figure de la gauche radicale et opposé à l'incarcération, avait refusé à deux reprises de se rendre à une confrontation et réclamé un non-lieu.
Cité comme témoin, le philosophe
Didier Eribon, ami de l'écrivain, parle de son "
état de choc" au lendemain des faits, décrit un traumatisme "
profond, obsédant, durable".
Encore aujourd'hui, Edouard Louis se réveille toujours "
avec des angoisses, des phobies, des pleurs", lance son conseil
Emmanuel Pierrat (collaborateur à Livres Hebdo, ndlr). Il insiste: au dossier, "
vous avez des éléments au minimum plus que convaincants et qui ne relèvent ni de la littérature, ni de la subjectivité".
Cette affaire est "
polluée" par le roman, tonne en réplique
Marie Dosé pour la défense. De Reda, "
on fait de toute façon un coupable", poursuit l'avocate, pour qui il n'y a jamais eu de "
débat contradictoire".
Elle évoque une conversation privée sur les réseaux sociaux dans laquelle un écrivain disant connaître Edouard Louis affirmait qu'il avait tout "
inventé" - il s'était ensuite rétracté. "
Il y a une seule histoire, il y a une seule vérité judiciaire dans ce dossier: c'est celle du doute", conclut l'avocate, demandant la relaxe.
Décision le 8 décembre.