Zombies et super-héros à gogo

Zombies et super-héros à gogo

Jusqu’alors confidentiel, le marché des comics américains grossit grâce au best-seller Walking dead et à la mise en place d’Urban Comics, qui aborde avec pédagogie cette bande dessinée de spécialistes.

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Par Anne-Laure Walter
avec Créé le 11.10.2013 à 19h29 ,
Mis à jour le 08.05.2015 à 15h07

On n’est plus regardé comme un alien quand on lit des comics », se réjouit Thierry Mornet. L’éditeur s’occupe depuis huit ans de « Contrebande », la collection de bande dessinée américaine de Delcourt. Le succès de Walking dead et l’arrivée en librairie depuis janvier 2012 des albums cartonnés d’Urban Comics, la nouvelle marque de Média-Participations traitant le comics avec le même soin que le franco-belge, ont popularisé cette niche. Avec le succès des films de super-héros, de Spiderman à Iron man en passant par Batman, qui séduit même les cinéphiles, être geek est devenu branché depuis quelques années. De plus, comme le marché du manga est en repli, certaines librairies et grandes surfaces ont réduit leur rayon, offrant un peu de place à la BD américaine jusqu’alors peu représentée en magasin.

C’est à partir du début des années 2000 que le comics a fait sa discrète entrée dans les librairies. « Avant il était cantonné au kiosque pour des fous fanatiques dont je faisais partie », se souvient Thierry Mornet, biberonné à Strange, le magazine qui a introduit les comics en France dans les années 1970. Ce secteur récent se partage aujourd’hui entre trois gros acteurs : Delcourt, qui domine le marché grâce notamment à Star wars et à Walking dead (1,5 million d’exemplaires vendus, 170 000 sur le tome 1 qui fait toujours des adeptes) ; Panini qui a perdu la licence DC mais conserve celle de Marvel (Spiderman, Hulk…) et Urban Comics, dernier arrivé mais lancé avec grands moyens. La marque a fait le choix de monter en gamme en rompant avec la tradition héritée de l’édition américaine où le comics est plus un produit de presse. « Notre ligne a tout de suite été de créer un lien entre le public franco-belge et la niche des lecteurs de comics, en proposant un format cartonné, car le lecteur a grandi et son pouvoir d’achat est différent de l’époque où il lisait Strange », précise Pôl Scorteccia, qui dirige le label où travaillent sept personnes.

Travail pédagogique.

A côté de ces trois leaders se développent des maisons de plus petite taille comme Atlantic, Aaltaïr, Makma, French Eyes ou Elements, ainsi qu’une collection, « Glénat Comics », créée l’an dernier chez Glénat sous l’impulsion de Thomas Rivière. Enfin, s’ajoutent des éditeurs de beaux livres qui font les encyclopédies et ouvrages illustrés comme Huginn & Muninn, qui appartient à Média-Participations, ou Semic.

L’élargissement du public du comics a été impulsé par le travail pédagogique d’Urban Comics qui, face à la réelle méconnaissance de l’univers de DC en France, a publié DC comics : anthologie pour présenter tous les récits qui ont fondé les mythes des super-héros. « Si vous êtes lecteurs de comics en France, vous êtes lecteurs de titres Marvel publiés sans discontinuité, tandis que les traductions de DC sont parues à des rythmes plus erratiques, explique François Hercouët, l’éditeur d’Urban Comics, qui travaillait précédemment avec Thierry Mornet chez Delcourt. L’histoire des super-héros est assez touffue, nous l’avons déblayée en fournissant des outils pédagogiques comme une chronologie dans chaque album, en construisant des collections pour permettre une lecture autonome. » Trois collections structurent donc le catalogue pour la première année : « DC archives » sur les comics des années 1940 à 1980, « DC classiques » jusqu’en 2011 et « DC renaissance », une traduction de l’initiative de DC de relancer, à partir du premier numéro, 52 de ses séries populaires. « Tous les dix-quinze ans, les Américains redémarrent leurs séries. Cela fait une collection que les libraires peuvent mettre entre toutes les mains ! » précise François Hercouët.

Une niche qui grandit.

Le discours est rodé car les éditeurs ont rencontré tout au long de l’année libraires, bibliothécaires et autres prescripteurs pour leur expliquer le comics. Cette stratégie a payé car les résultats, à l’issue de la première année, sont bien au-delà des prévisions. Urban Comics a notamment bénéficié du succès de Batman (20 000 exemplaires vendus), qui constitue une porte d’entrée au catalogue bien plus large qui comprend le label Vertigo, réunissant tous les autres genres de comics, hors super-héros, comme la SF, l’horreur, le fantastique ou le polar.

Ce sont ces genres que travaille Thierry Mornet avec les 60 à 70 nouveautés annuelles de « Contrebande ». Contrairement à Urban Comics ou Panini, il n’a pas signé de « master agreement », contrat le liant à une marque et l’obligeant à publier un certain nombre de titres. La bande dessinée américaine fait partie de l’ADN de Delcourt, qui en a publié dès les débuts de la maison puisqu’elle a eu à son catalogue Watchmen ou Elektra. L’arrivée de Thierry Mornet en 2005 a permis de structurer l’offre. L’éditeur a commencé par développer l’univers de Star wars avec un album par mois et deux magazines. Et puis il y a eu Walking dead. « J’avais publié un volume chez Semic en 2004 qui a attiré 2 000 afficionados, pas plus, raconte-t-il. Quand j’ai quitté Semic pour Delcourt, je croyais à cette BD américaine sans super-héros. J’ai harcelé Guy Delcourt, qui a quand même refusé deux fois le projet avant d’accepter ! » Les ventes décollent à partir du tome 3, dépassant la niche du comics, mais c’est avec la diffusion de la série télé, à la fin de 2010, que le phénomène s’enclenche. «On a senti dans les deux mois l’explosion des ventes, mais la série était déjà un succès de librairie avant d’en devenir un phénomène. » Cette histoire de zombies touche même les lecteurs de BD traditionnelles et de SF, voire un public féminin, peu présent dans ce rayon. Thierry Mornet ne s’enflamme pas pour autant. « Je me méfie quand même de l’idée du marché qui s’ouvre, dit-il. Le comics n’a pas un public potentiel aussi vaste que le manga, c’est une niche qui grandit sous l’impulsion de quelques titres. » En effet, en volume, on continue à vendre huit fois plus de mangas que de comics. <

11.10 2013

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