Dans certaines geôles turques, personne ne vous entend crier. Car un système d'insonorisation étouffe les sévices et les hurlements. Mais dans la plupart des prisons, surtout celles implantées au Kurdistan, les cris d'angoisse et de douleur imprègnent les murs, autant que la crasse et le sang. C'est ce que décrit, dans un style proche de l'art brut, la journaliste et artiste Zehra Dogan, dans une BD en forme de témoignage et d'appel à l'aide. Arrêtée pour avoir rapporté les exactions de l'armée turque lors d'un raid dans la ville kurde de Nusaybin, elle découvre en prison une autre forme d'oppression, tant physique que mentale, de la population kurde par un État qui ne vise qu'à la briser.
Le procédé dit déjà beaucoup. Comme il est interdit de posséder du matériel de dessin en prison, Zehra Dogan se sert du verso de lettres envoyées par une amie et fait sortir en cachette, une à une, ses planches de kraft brun, brossées rageusement au crayon gris, feutre noir ou stylo rouge. Les cases s'entrechoquent, les visages se tordent, les frontales scènes de torture sont confrontées à des textes sobres, synthétisant des ouvrages d'opposants ou rapportant des témoignages inédits. Comme celui de cette femme emprisonnée depuis vingt-deux ans, alors qu'elle avait rejoint la guérilla à peine adolescente. Ou cette vieille mère qui n'a plus personne à qui téléphoner à l'extérieur et se contente de donner des nouvelles une fois par semaine à son fils, incarcéré lui aussi.
Le récit de l'intérieur des cellules se mue peu à peu en condensé de l'histoire sanglante de la guerre d'indépendance du Kurdistan, par le prisme de l'emprisonnement. Zehra Dogan éclaire ainsi ses propres conditions de détention avec celles de précédents prisonniers politiques : aux viols, à la torture et à la pression psychologique ont répondu des mouvements de grève de la faim, des mutineries, voire des immolations. L'accumulation des informations et le ton direct de l'autrice font de Prison n°5 un document édifiant et bouleversant. Un pavé de douleur qui doit sa sortie au soutien de Jacques Tardi et Dominique Grange, qui ont aidé l'autrice à aller au bout de sa démarche : crier à la face du monde la détresse d'un peuple kurde étouffé.
Prison n°5 Traduit du turc par Naz Oké
Delcourt
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 24,95 € ; 120 p.
ISBN: 9782413038481