Avant-Portrait

Elle a grandi parmi les mûriers, plantés par ses parents agriculteurs, et sous les étoiles. Les deux lui ont tant manqué en prison. Bercée par les contes de sa mère, Zehra Dogan dit qu'ils l'« ont ouverte à l'imaginaire. » Ils ont aussi nourri son identité kurde, fil rouge de son inspiration. « Il ne s'agit nullement d'un attachement nationaliste, mais d'un lien avec un peuple opprimé qui a le droit d'exister. » Son travail d'écriture obéit moins à un objectif artistique qu'à un désir de transmission, son obsession.

Briser les barreaux

Zehra Dogan commence à écrire très tôt. « Le turc étant la langue des Autres, je me devais de créer un lieu où je pouvais être moi-même. » Elle trouve aussi sa voie dans l'art, qu'elle étudie à l'université. Mais son engagement la pousse vers le journalisme et elle crée l'agence de presse féministe kurde Jinha, vite censurée. « Militer n'est pas un choix, explique-t-elle. Lorsqu'on naît au Kurdistan, on a la responsabilité de témoigner. » Une position qui l'enverra en prison en 2016, pour avoir réalisé et diffusé un dessin numérique représentant la destruction de la ville de Nusaybin. « J'étais prête car je savais que je prenais des risques, mais la réalité m'a marquée à jamais. »

Si elle ne s'habitue pas à l'enfermement, c'est surtout celui des enfants qui lui pèse. En prison, elle est témoin de tortures mais aussi de la solidarité entre les détenues. Ces femmes, dont elle dresse le portrait, « m'ont appris à rire. Ça ne paraît pas héroïque, mais garder son humanité en prison est déjà un défi. » L'autre étant de continuer à être soi-même. C'est pourquoi, elle se tourne vers l'écriture et la peinture « pour ne plus être une victime passive ».

Se noue alors une correspondance intense avec Naz Öke - sa consœur journaliste en France - que les Editions des femmes publient aujourd'hui. Ces lettres écrites durant les 600 jours de son incarcération dans les prisons turques ravivent ses heures de douleurs, de joies et d'espoirs. D'après Asli Erdogan, qui signe la préface du recueil, « on dit que l'être humain doit écrire avec son corps, un corps nu, à vif... Parce que c'est le miracle du sang, d'envoyer les mots vers la vie. » En prison, Zehra Dogan peint avec tout ce qu'elle a sous la main : épluchures de fruits, cheveux de ses camarades, plumes d'oiseaux ou sang menstruel. Un art noir et vibrant pour « résister et réaliser ses rêves malgré l'épée qui tente de nous piétiner. » Pendant ce temps, des artistes comme Wei Wei ou Banski se mobilisent pour sa libération. Elle a été libérée le 24 février dernier, mais Zehra Degan ne se sent par libre. « Je continue à me battre contre des murs invisibles. La Turquie reste un musée ensanglanté, perpétuant l'injustice. Contrairement à l'Allemagne nazie, elle refuse de reconnaître ses crimes et d'ouvrir la voie au changement. »

Elle estime néanmoins qu'il est « important de continuer à voir les choses avec étonnement et émerveillement. » Ses cheveux noirs ondulés, son regard souligné de khôl et ses dents du bonheur siéent si bien à son cœur d'enfant. Son prénom signifie « fleur qui pousse dans les airs ». Pour l'heure, elle s'en va réaliser une peinture murale à Londres, où elle s'est réfugiée. Elle vient toutefois de trouver une terre au Rojava (Kurdistan syrien), pour créer un atelier d'arts plastiques. « Je désire faire vivre l'art au Kurdistan et récolter des témoignages de femmes, à travers le monde, pour les transformer en œuvre. Ainsi, j'entrelacerai d'autres vies. »

Zehra Dogan
Nous aurons aussi de beaux jours : écrits de prison
Des femmes-Antoinette Fouque
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 15 euros
ISBN: 9782721007063

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