Il y a un tiers de siècle, le très novice primo-romancier, dont je porte encore le nom, s'était réjoui d'être invité à son tout premier salon du livre, à Figeac. On l'accueille chaleureusement, on lui désigne sa place attitrée et le voilà assis derrière une table où s'amoncelle une quinzaine de bouquins et trois petits tas égaux. L'immense salle voûtée est encore quasi déserte, tant pis, autant passer le temps en empruntant quelques livres à proximité. À sa droite, d'imposantes piles trônent en l'absence de leur auteur, disons Vlad Volk. L'épais volume s'intitule Les hommes du tsar, assommante saga d'un Russe blanc, pas de chance. Côté gauche, chaise vide aussi, le retardataire s'appellerait Mieczyslaw Grajewski.
« Tiens, un ado curieux s'est frayé un passage jusqu'à l'écrivaillon néophyte »
Le titre de l'ouvrage s'affiche sur tant de couvertures que c'en est trop. À première et dernière vue, ça raconte une famille décimée par l'incendie de sa maison sur la Côte d'Azur. Ça y est, les deux littérateurs ont rejoint leur siège respectif, assis du haut de leur réputation, et une petite queue commence à se former de part et d'autre du troisième larron soudain pris en sandwich. Celui de droite additionne des bâtons sur un post-it à chaque vente paraphée ; celui de gauche contresigne en adressant deux adages consolatoires : « La vie renaîtra de la nuit » ou « J'écris pour les hommes de demain ».
Tiens, un ado curieux s'est frayé un passage jusqu'à l'écrivaillon néophyte. Ils ont l'air de s'intimider mutuellement. Sur la page de faux-titre, pas facile de trouver les mots justes entre inconnus, et surtout une formule appropriée au-delà de la politesse : « À une prochaine fois, ici ou là » plutôt que le « Bien attentivement » que lui avait soufflé l'attaché de presse à Paris. Puis vient la pause déjeunatoire. Et dire qu'il reste une après-midi entière à rester planté là. À ses côtés, encore des bâtons et des sermons, une fois les livres émargés d'un blabla autographe.
Tiens, une audacieuse lycéenne s'approche du prosateur désœuvré. Elle voudrait savoir de quoi ça parle. Et lui de faire comme s'il avait oublié... « Normal, ça parle d'une amnésie volontaire. » Bien vendu et aussitôt gribouillé puis remis en main propre. La foire touche à sa fin, mission accomplie, il a conquis un public moins âgé que la moyenne. Rassurante nouvelle, il est invité à prendre l'apéritif chez le couple qui tient la librairie du cru, mais en tout petit comité. Il n'a pas trop souffert ? s'enquiert-on en lui servant un verre. On sonne à la porte. Tiens tiens, mais il les reconnaît, ces deux ados passant en coup de vent saluer leurs parents. Petit pincement au cœur, et puis fou rire général.
Dédié à Georges et Katia Buscail, fondateurs de la librairie Le Livre en fête
