Avant-critique Manga

Yuki Isoya, "Couteau et piment vert, t. 1 et 2" (Le Lézard Noir)

Couteau et piment vert, t. 1, P. 11 - Photo © Yuki Isoya/Le Lézard Noir

Yuki Isoya, "Couteau et piment vert, t. 1 et 2" (Le Lézard Noir)

Dans le Kyōto de l'après-guerre, une jeune veuve se bat pour sa passion, la cuisine, et pour sauver le restaurant familial. Une appétissante série de la mangaka Yuki Isoya.

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Par Anne-Claire Norot
Créé le 16.06.2024 à 11h00

La cantine de Kyōto. À Kyōto, en 1951, les Kuwanoki tiennent un restaurant traditionnel fondé deux siècles auparavant. Mais ce sont les lendemains de la guerre : beaucoup d'hommes sont décédés et les femmes ont du mal à s'en sortir. La cadette de la famille, Futaba, 29 ans, qui a « raté le train du mariage » à cause du conflit, doit se marier avec Amané, 19 ans, le fils d'un patron d'une chaîne d'hôtels d'Osaka qui entend s'implanter à Kyōto. L'impétueuse jeune femme refuse et s'enfuit avec un cuisinier. C'est sa sœur aînée, Ichika, veuve de 34 ans qui travaille comme cuisinière dans un hôtel réquisitionné par l'armée américaine, qui va devoir épouser Amané et concrétiser l'alliance avec la puissante famille, dans l'espoir de sauver le restaurant.

Couteau et piments verts, josei au dessin soigné de Yuki Isoya, comporte à ce jour onze tomes au Japon, dont les deux premiers paraissent simultanément en France. Derrière l'intrigue de facture classique (le couple arrivera-t-il à s'entendre, la famille d'Amané fera-t-elle main basse sur le restaurant ?), l'autrice brosse deux passionnants portraits. Tout d'abord celui d'une femme, Ichika, pour qui la cuisine est à la fois une passion et un moyen de s'affranchir, et ensuite celui d'un pays qui peine à se relever, à s'ouvrir, à se moderniser. On n'est pas ici dans le Japon des marges dépeint par les auteurs de gekiga, mais dans celui des classes moyennes cher à Ozu, où les jeunes filles sont tiraillées entre émancipation et volontés familiales et où les parents considèrent que seul un bon mariage assurera l'avenir de leurs enfants. Avec en toile de fond l'occupation américaine, Yuki Isoya aborde habilement une multitude de thèmes, sociaux et historiques : poids des traditions, racisme à double sens (le cuisinier des Kuwanoki refuse de servir des étrangers, une militaire américaine de manger la nourriture japonaise), relations de couple, place et droits de la femme... L'autrice joue avec malice sur les différences entre les cultures japonaises et américaines, entre Kyōto la ville traditionnelle et Osaka la cité moderne, entre les idées nouvelles de la jeunesse et le conservatisme des anciens, et, bien sûr, sur les quinze ans qui séparent Ichika et Amané (dans un couple, est-ce bien raisonnable, surtout quand l'aînée et la femme ?). Le prisme de la cuisine et de la nourriture instille de la légèreté dans le récit, que rythment de nombreuses recettes- de la manière d'accommoder les restes aux plats les plus chics. Une série sans prétention mais divertissante, instructive, et roborative.

Yuki Isoya
Couteau et piment vert, t. 1
le Lézard noir
Traduit du japonais par Mélanie Kochert
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 8,50 € ; 192 p.
ISBN: 9782353483594
Yuki Isoya
Couteau et piment vert, t. 2
le Lézard noir
Traduit du japonais par Mélanie Kochert
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 8,50 € ; 180 p.
ISBN: 9782353483600

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