Avant-critique Roman graphique

Reza Sahibdad, Yann Damezin, "Hazara Blues. Téhéran. Kaboul. Paris" (Sarbacane)

Hazara Blues, P. 44/45 - Photo © Yann Damezin, Reza Sahibda/Sarbacane

Reza Sahibdad, Yann Damezin, "Hazara Blues. Téhéran. Kaboul. Paris" (Sarbacane)

Rentrée littéraire

Yann Damezin met en images d'une manière éclatante le parcours de Reza Sahibdad, un réfugié afghan né en Iran.

Parution 20 août

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Par Benjamin Roure
Créé le 19.06.2025 à 14h00

Raconter pour survivre. « Les histoires, parfois, c'est une question de vie ou de mort. » Les mots liminaires de Reza Sahibdad ne sont pas des paroles en l'air. Afghan né en Iran, membre de la minorité hazara persécutée dans son pays d'origine comme dans son pays de naissance, il retrace ici ce qu'il a raconté à l'enquêtrice de l'Ofpra (office français de Protection des réfugiés et apatrides) pour sa demande d'asile : une trajectoire palpitante comme un conte des Mille et une nuits, mais terrifiante car réelle. Sa jeunesse à Mashhad en Iran, l'activisme politique de son grand frère, le trafic de cassettes vidéo, le fait d'être considéré comme un sous-citoyen car afghan et hazara, cette ethnie chiite aux traits asiatiques opprimée de toutes parts, le départ pour Kaboul, ses études de cinéma, la toxicomanie, ses semaines à la rue à Paris... Dans ces morceaux de vie, la mort est partout.

On retrouve dans ce Hazara Blues nombre d'éléments qui animent la bande dessinée documentaire depuis des années, notamment celle sur le Moyen-Orient. On perçoit le goût de l'anecdote absurde d'une Marjane Satrapi dans Persepolis (L'Association, 2000-2003), le dispositif d'interview d'un Fabien Toulmé dans L'odyssée d'Hakim (Delcourt, 2018-2020) ou encore les envolées oniriques d'un Majid Bita dans le bouleversant Né en Iran (Gallimard, 2024). Mais Yann Damezin, en bon connaisseur de la culture persane, porte les mots de Reza Sahibdad - lui-même cinéaste et donc prompt à imager ses souvenirs - bien au-delà de tout ce qu'on a déjà pu lire. L'auteur du somptueux Majnoun et Leïli (La Boîte à Bulles, 2022) construit l'album autour d'un découpage très maîtrisé, appuyé sur des monochromies : bleu pour son dialogue avec Reza, rouge pour l'interrogatoire de l'Ofpra, vert pour le récit en lui-même, noir pour les parenthèses historiques ou politiques. Au sein de cette mosaïque efficace, son trait limpide joue sur les symboles, les volutes, les motifs, un bestiaire oriental et surtout des trouvailles graphiques aussi frappantes qu'émouvantes. Cette inventivité était indispensable pour mettre en lumière un parcours si dense et si violent, et en faire un livre hautement nécessaire. Car comme le dit, dans un songe, un bouddha de Bamiyan - anéanti par les talibans - à un Reza désemparé : « Le passé, pour qu'il soit moins douloureux, il faut le raconter, encore et encore... »

Reza Sahibdad, Yann Damezin
Hazara Blues. Téhéran. Kaboul. Paris
Sarbacane
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 28 € ; 240 p.
ISBN: 9782377319855

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