Dans sa famille, Yancouba Diémé est le dernier de neuf enfants, « même père, mais pas même mère, raconte-t-il. « Ma mère est décédée quand j'étais petit ». Son père, lui, est bien vivant, avec ses 75 ans « officiels » : « A l'époque, raconte Yancouba Diémé, l'état civil n'existait pas, alors on ignore son âge exact. Mais il fait plus ! » Le respect des Anciens (à la maison, tout le monde l'appelle Aperaw, « le Vieux ») n'exclut pas l'humour. Surtout quand on est le petit dernier, le chouchou, « l'intellectuel de la famille », celui qui joue de la guitare et qui lit des livres, beaucoup : Nicolas Bouvier, par exemple, l'auteur de son adolescence. Aujourd'hui, il confie son admiration pour Annie Ernaux, cite Didier Eribon, les fictions historiques de Patrick Deville, et, bien sûr, quelques grands écrivains africains : le Nigérian Chigozie Obioma ou le Ghanéen Niiaykwe Parks, qui « a changé [sa] vie ».
Mystiques
Il écrit, lui aussi, grâce à la bourse Erasmus qui lui a permis, en 2012-2013, de passer un an à Norwick, dans l'est de la Grande-Bretagne, dont un semestre à étudier la creative writing. « C'est là que j'ai commencé à travailler mon roman sérieusement, explique-t-il, même si l'idée première remontait à 2009, l'année où mon père, qui vivait en France depuis 1969, obtint sa naturalisation. Cela ne lui a fait ni chaud ni froid ! Moi, je savais dès le début que le livre serait consacré à son parcours, et j'avais écrit le premier chapitre, "Jour de gloire" » Mais dans le secret absolu. Pas question de parler du projet à quiconque, et surtout pas au patriarche, lequel semble, sur sa propre histoire, demeurer obstinément muet. « Lorsque j'ai appris que mon père était arrivé à Marseille en bateau depuis le Sénégal, ce qui était peu banal à l'époque, j'ai voulu qu'il me raconte cet épisode. Il est entré dans une colère noire : Laisse ça où c'était, cela ne regarde personne ! » Heureusement, Yancouba Diémé est passé outre, et l'histoire de Bouregh (son vrai prénom) Diémé, a pris vie. Le livre sort à la rentrée littéraire. Mais pas question, d'ici là, de le donner à la fratrie. Ecrit en cachette, imprimé en cachette, chacun ne recevra son exemplaire qu'en juillet, par la poste !
Rien d'étonnant à cela. Les Diémé sont des Diolas, un peuple d'agriculteurs (ou de pêcheurs), qui vivent tout au sud du Sénégal, en Casamance, en Gambie, et dans le nord de la Guinée. Des gens de la forêt, qui ont su préserver, en dépit de leur conversion au christianisme ou à l'islam (parfois même aux deux), la tradition animiste, avec ses mystères. « Nous les Diolas, on est des mystiques. On fait un peu peur aux autres », dit Yancouba Diémé. D'ailleurs, bien qu'il soit retourné plusieurs fois au Sénégal depuis sa naissance à Villepinte, il n'a pas encore, à bientôt 30 ans, vécu le foutampat, le rite du Bois sacré, réservé aux jeunes hommes d'un même village, avertis par les Anciens, et dont il est défendu, sous peine de malédiction, de raconter quoi que ce soit. « On m'a prévenu récemment que mon tour était pour bientôt. J'ai hâte », dit-il.
Angliciste, cultivé, vivant pour la première fois dans un appartement de Saint-Ouen avec sa copine bourguignonne, Yancouba Diémé incarne parfaitement l'intégration à la française, quand elle réussit. Il ne renie rien de ses racines, mais veut écrire « pour tout le monde », et non pas un livre « exotique, folklorique ou explicatif qui n'intéresserait que les Blancs. » Il aime la France, et sa langue « régénérée », que chaque écrivain s'approprie. Pourvu qu'il ait des idées et du talent. Apparemment, le fils Diola n'en manque pas.
Boy Diola
Flammarion
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 17 euros
ISBN: 9782081446182