Avant-critique Essai

Xavier Charpentier, "1983-1984. Quatre saisons à l'envers" (Plein Jour)

Xavier Charpentier - Photo © Xavier Charpentier/Plein Jour

Xavier Charpentier, "1983-1984. Quatre saisons à l'envers" (Plein Jour)

Xavier Charpentier signe un essai délicat sur l'année 1983 qui fut celle de la rigueur et de ses 20 ans.

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Par Laurent Lemire,
Créé le 20.02.2023 à 09h00

20 ans sous Mitterrand. Avoir eu 20 ans sous Mitterrand, c'est moins dangereux que d'avoir eu 20 ans dans les Aurès. Et pourtant, à la lecture du livre de Xavier Charpentier, on constate que ce n'est pas simple. D'autres guerres, plus intimes que celle d'Algérie, sont à l'œuvre. Et dans les deux cas, il y a comme l'idée de s'être fait avoir. « Non, je ne suis pas certain d'avoir aimé les années 1980, même si j'y ai aimé mes 20 ans. » Pour le savoir, le mieux est encore de redérouler le film en plongeant à la fois dans les souvenirs, dans la presse, dans les livres et bien sûr dans les archives télévisées. C'est ce que fait avec beaucoup d'esprit ce philosophe passé par la publicité qui n'a pas abandonné le terrain des idées.

C'est vrai qu'il y avait alors un appétit tous azimuts. On croyait que la culture pouvait changer le monde. Jack Lang déclarait que nous étions passés de l'ombre à la lumière, que l'intelligence allait régner. Bref, nous allions enfin voir le bout du tunnel. Et pourtant, Xavier Charpentier avoue : « Non, je ne suis pas au clair avec 1983. » Cette année-là fut celle du tournant, de l'entrée de la rigueur. Finies la vie en rose et la rigolade ! Sartre, mort un an avant la victoire de la gauche, ne pouvait plus lancer à son Aron alors condisciple de la rue d'Ulm : « Pourquoi as-tu si peur de déconner ? » Désormais on ne rit que sous cape. Ouvertement, on écoute René Tendron à la Bourse de Paris en conclusion du journal d'Yves Mourousi. Et on parle, on parle de tout et de rien comme dans Pauline à la plage de Rohmer ou À nos amours de Pialat. On parle aussi d'amour dans les annonces « Chéries et Chéris » de Libé. Mais de tous ces débordements, ces inquiétudes, que reste-t-il ? L'émission « Vive la crise ! » présentée par Yves Montand ou la victoire de Yannick Noah à Roland-Garros ? Les deux, nous dit l'auteur qui sait avec habileté retisser une ambiance, une tonalité, une odeur de temps perdu qu'on ne rattrape plus.

Pour rassurer ceux qui étaient déjà inquiets de cette transition, Mitterrand voulait donner « du temps au temps ». La formule est abstruse, mais elle a plus de panache que « en même temps ». Non, décidément, ce qui intéresse Xavier Charpentier, ce sont les moments de bascule. C'est pourquoi on le lit avec autant de gourmandise. Après les années 1970 de sa jeunesse, il poursuit son chemin d'ego-histoire. Dans 6 octobre 1973, l'été indien des Trente Glorieuses (Plein Jour, 2020), il prenait acte de la fin d'une époque qui s'achevait avec la crise pétrolière. Ici, c'est encore une fin, celle de la gauche de 1981, qu'il examine. Cela l'inspire, mais sans tristesse, sans nostalgie. La seule qui transparaît concerne sa prof de philosophie Renée Thomas. Il lui rend hommage car, sans elle, il n'aurait sans doute jamais écrit. Peut-être ne se serait-il pas intéressé non plus à la traversée des quatre saisons de ses 20 ans. Au fond, l'esprit de cette année-là est bien résumé par le titre du Goncourt d'alors, signé Frédérick Tristan : Les Égarés.

Xavier Charpentier
1983-1984. Quatre saisons à l'envers
Plein jour
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 18 € ; 208 p.
ISBN: 9782370670861

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