C'est un roman aussi extravagant qu'astucieux, qui parvient à inoculer une trame relevant de la science-fiction dans un pan essentiel de l'histoire du XXe siècle, à savoir l'édification de l'URSS. Tout commence en 1907, quand un certain Leonid Volok participe à une action terroriste visant un groupe de dignitaires cosaques à Tiflis, en Géorgie, avant de disparaître mystérieusement. Vingt ans plus tard, Staline consolide son pouvoir et le pays se prépare aux célébrations des dix ans de la révolution d'Octobre. On suit alors des personnalités du régime qui rivalisent d'inventivité et d'idées farfelues pour apporter leur contribution aux festivités. Parmi eux, un médecin plus loufoque que dogmatique, Bogdanov, inspiré d'un personnage réel, qui a théorisé « l'empiriomonisme », une philosophie qui concilierait le marxisme et les découvertes scientifiques récentes. Dans son institut, il multiplie les transfusions sanguines, estimant que si chacun échange son sang avec des individus différents, cela élèvera le niveau de santé collective... Mais il s'inquiète également de l'afflux de malades neurasthéniques et terrifiés par l'impuissance, un phénomène qu'il nomme « l'épuisement soviétique ».
Alors qu'au siège du mouvement Proletkult de Moscou, où l'on crée une culture socialiste de toutes pièces, Bogdanov est en train de découvrir le nouvel hymne qui pourrait être joué par une « machine sonore », il reçoit la visite d'une jeune fille maigrichonne qui se fait appeler Denni. Elle prétend venir de la planète Nacun, et serait à la recherche de son père, Leonid Volok. Or Bogdanov avait autrefois croisé la route de ce Leonid, à Capri en 1913. L'homme lui avait assuré avoir été enlevé par des extraterrestres et conduit sur leur planète, organisée en un système communiste. Cette histoire avait même inspiré à Bogdanov son fameux roman intitulé L'étoile rouge. L'irruption de Denni dans la vie de Bogdanov le trouble d'autant plus que la fiction rattrape alors la réalité, tandis que les intellectuels soviétiques s'échinent précisément à redéfinir ce concept de réalité à travers une nouvelle culture mêlant biologie, physique et littérature. Pourtant, une formidable utopie pourrait naître de la rencontre entre ces deux mondes, et Bogdanov imagine déjà un « interplanétarisme soviétique », même si Denni se met à douter de la suprématie de l'humanité sur les autres espèces terriennes... Ce que l'on ignore alors, ce sont les intentions véritables des habitants de Nacun : qu'attendent-ils vraiment de l'URSS ?
Proletkult est un roman en forme de longues et jubilatoires discussions sur des théories fumeuses destinées à enrichir le socialisme, qu'il soit alien ou humain, et il constitue aussi une réjouissante parabole sur les modes d'organisations sociales et politiques. La révolution russe y est revisitée avec dérision et insolence, notamment à travers sa quincaillerie presque « vintage », des uniformes aux slogans, en passant par ses médailles et ses hymnes.
Proletkult Traduit de l'italien par Anne Echenoz
Métailié
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22 € ; 352 p.
ISBN: 9791022611756