Critique d'art réputé, commissaire d'expositions, Michel Nuridsany, même s'il a écrit sur Watteau, Titien ou Le Caravage, est plutôt un spécialiste de l'art contemporain, qui sait par coeur ses avant-gardes, surtout celle des années 1960-1970, quand New York passait pour La Mecque des artistes, galeristes, collectionneurs et autres satellites branchés. En 2001, Nuridsany avait déjà consacré à Warhol une biographie chez Flammarion. Il connaît donc, de l'intérieur, la vie d'Andrew Warhola, un Ruthène uniate qui a souvent dissimulé ces origines auxquelles il restait au fond très attaché ; et l'oeuvre de celui qui a atteint la gloire et la fortune sous le nom d'Andy Warhol. Un destin peu banal où il a choisi de se replonger, mais d'une façon malicieuse : Nuridsany bâtit une fiction dont Warhol est le héros, racontée par un certain Jean Delacroix, qui fut "son amant" - c'est ainsi qu'il se présente dès les premières lignes -, mais aussi son ami fidèle jusqu'à la fin, et même, si l'on entre dans la fantaisie nuridsanyenne, son double !
Ce Jean Delacroix, né en 1943 à Dreux dans une famille modeste, est un garçon aussi intelligent et talentueux (il a appris un peu la peinture, fait l'Ecole du Louvre) que sans scrupules. Toute sa vie, il l'a fondée sur le faux, "parce que, dira-t-il plus tard, le monde du faux est plus vrai que l'autre". Il s'acoquine avec une bande de voyous minables à qui il fait dérober de modestes tableaux dans de petits musées de province. Puis rencontre un certain de Wandel, qu'il appelle "Monsieur X", né Tenguiz Garachvili. En échange de ses faveurs, Monsieur X, richissime trafiquant de haut vol, marchand d'armes et taupe des RG, s'institue son pygmalion et le fait changer de dimension : Jean devient un faussaire, un escroc, négociant en faux tableaux dans le monde entier. Dont le Japon. Et c'est à Tokyo, en 1964, qu'il fait la connaissance de Warhol. Ils ne se quitteront plus.
Jean, fortune faite, s'installe à New York, aux côtés de son ami. Il fréquente toute la jet-set locale, à la Factory et ailleurs, occasion pour Nuridsany de se livrer à quelques portraits acides : de Lou Reed, par exemple, qu'il semble avoir dans le nez.
Mais, en 1968, après avoir échappé de peu à la mort - Valérie Solanas l'avait farci de coups de pistolet -, Warhol devient parano, ingérable, s'intéresse de moins en moins à sa création, faisant exécuter par des assistants des sérigraphies qu'il signe à peine. Et si c'était le moment de changer de vie, de se retirer de tout ce cirque, de devenir ce paysagiste qu'il a toujours rêvé d'être ? Un nouveau Renoir, sa référence absolue. Pour ce faire, il imagine une supercherie : il devient Eddie Brant, et Jean, après un peu de chirurgie esthétique (réversible), va prendre sa place, être Warhol. L'autre accepte, et vont s'ensuivre quelques folles années, jusqu'à ce que le destin frappe...
C'est érudit, drôle, truffé de personnages et d'histoires authentiques sur le monde de l'art et surtout ses coulisses. Si bien fait qu'on finit par se demander si Nuridsany, détenteur d'un sacré secret, n'aurait pas écrit la vérité.