Essai/France 29 août Jean-Paul Engélibert

Qu'y a-t-il derrière les représentations des fins du monde ? On pense évidemment au pessimisme foncier de ces artistes, de ces écrivains, de ces cinéastes qui envisagent le pire. Mais dans quel dessein ? Pour nous faire peur ? Pour nous alerter ? La chose est sans doute plus compliquée, comme le montre Jean-Paul Engélibert dans cet essai particulièrement intéressant.

Professeur de littérature comparée à l'Université Bordeaux-Montaigne, il est l'auteur d'Apocalypses sans royaume (Garnier, 2013) et il a dirigé L'Apocalypse : une imagination politique, XIXe-XXIe siècles (PUR, 2018). C'est dire s'il connaît son sujet. Ces apocalypses sont apparues avec la Révolution industrielle. Elles ont par la suite accompagné toutes les désillusions politiques jusqu'à aujourd'hui. Pour Jean-Paul Engélibert, elles sont la conséquence de l'échec de la Révolution française qui s'accompagne d'une critique de l'idéologie du progrès.

Parmi les plus célèbres, on peut citer le Frankenstein de Mary Shelley. Mais on a oublié Le dernier homme de Jean-Baptiste Cousin de Grainville, première « fiction apocalyptique laïque » publiée en 1805. Plus près de nous, Jean-Paul Engélibert évoque Malevil de Robert Merle, L'aveuglement de José Saramago, la trilogie de MaddAddam de Margaret Atwood, La route de Cormac MacCarthy, Des anges mineurs d'Antoine Volodine ou Cosmopolis de Don DeLillo. Sur grand écran, il convoque On the beach de Stanley Kramer, Melancholia de Lars von Trier ou 4 :44 Last day on Earth d'Abel Ferrara.

Toutes ces œuvres imaginent la fin des temps. Elles n'en sont pourtant pas nihilistes. Ces représentations de fins du monde veulent montrer les recommencements possibles. Elles participent d'une promesse utopique. Elles prétendent moins à dépeindre l'avenir sombre qui nous attend qu'à nous montrer comment l'éviter. Notre temps présent s'envisage pour eux comme un kaïros, le moment à saisir des anciens Grecs avec la promesse d'un autre monde et non l'impossibilité de transformer celui-ci.

« En représentant notre histoire achevée, l'action politique impossible ou dépassée, elles ne renoncent pas à agir. Au contraire, elles inventent une forme contemporaine de tragédie qui place l'humanité sous son propre regard critique. » Ces fables sont vues non pas comme des désespoirs esthétiques mais comme des invitations à l'engagement, à faire de la politique. En butinant d'œuvre en œuvre, Jean-Paul Engélibert revient un peu sur l'histoire de ces visions d'apocalypse, il les « déplie », selon son expression, dans notre histoire. Et il rappelle au passage que c'est notamment en lisant que l'on prend conscience du monde. Celui qui risque de finir et celui où nous sommes irrémédiablement.

Jean-Paul Engélibert
Fabuler la fin du monde : La puissance critique des fictions d’apocalypse
La Découverte
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 euros ; 240 p.
ISBN: 9782348037191

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